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Einstein on the beach, archéologie de la forme libre..Einstein on the beach, a free form's archeology

Expositions..Exhibitions

Quels liens existent entre les luttes écologiques, la céramique de l'après-guerre, une lèvre charnue, Spirou et Fantasio, les robes d'été de ma grand-mère, un bol à thé âgé de 800 ans, le duo Little boy & Fat man ou encore le génie de Philip Glass?

En se frottant aux choses, ce premier chapitre du cycle Forme(s) simple(s) tente de sonder ces liens invisibles.

Bienvenue dans le monde étrange de la forme libre.


Photographies clouds par Damien Ropero

 

« Depuis l'aube de la conscience jusqu'au milieu de notre siècle, l'homme a dû vivre avec la perspective de sa mort en tant qu'individu ; depuis Hiroshima, l'humanité doit vivre avec la perspective de son extinction en tant qu'espèce biologique. »
Arthur Koestler

« Ce matin, je crois bien avoir découvert la trace d'un nouveau pudendum, d'un nouveau motif de honte encore inconnu dans le passé. Pour le moment, je l'appelle
la honte prométhéenne, et j'entends par là, la honte qui s'empare de l'homme devant l'humiliante qualité des choses qu'il a lui-même fabriquées. »
Günther Anders

« Chaque science met en œuvre un ensemble d’hypothèses, ces hypothèses sont autant de décisions quant à la construction du réel. Cela est aujourd’hui largement admis. Ce qui est dénié, c’est la signification éthique de chacune de ces décisions, ce en quoi elles engagent une certaine forme de vie, une certaine façon de percevoir le monde. »
Appel

« Nous nous résumerons en une phrase: La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degrés de sauvagerie. »

Albert Camus

« Que « les choses continuent comme avant » : voilà la catastrophe. Elle ne réside pas dans ce qui va arriver, mais dans ce qui, dans chaque situation, est donné. »

Walter Benjamin


Si, comme le dit le philosophe et militant Günther Anders, les inventions techniques ne sont jamais seulement des inventions techniques alors il est utile de les confronter à la pâte du temps, aux ethos d'un moment car elles peuvent laisser apercevoir dans leur fibres, dans leurs prémices, comme dans leurs effets, une lueur à même d'éclairer la voix secrète que laisse entendre l'émergence d'une forme.

Dans cette première incursion dans les arcanes de la forme simple, nous cherchons à sonder la matière et l'ordre symbolique d'un type de forme qui présente le double caractère d'avoir toujours été-là dans l’histoire des artefacts humains et qui, au demeurant, semble avoir trouvé une consistance inédite au milieu du vingtième siècle dans le contexte de l'après-guerre et de son « ère atomique ».



La famille de forme dont il est ici question bien qu'elle est souvent qualifiée comme « libre » -en un sens où elle serait affranchie des contraintes et analyses de la géométrie euclidienne- recoupe en réalité des formes modélisables mathématiquement. Pourtant, elle semble provenir d'une source qui la place hors des schèmes mathématiques, répondant plutôt à l'impulsion de la main levée qu'à la ratio de la mathématique. Cette sensation commune, bien qu'inexacte, porte néanmoins en elle une vérité intuitive, sensible, qui à différents moments et selon différents présupposés a vu s'épanouir la possibilité d'une forme autre : souple, molle, mobile, expansive, inassignable.

Par son caractère rétif à intégrer les catégories esthétiques classiques habituelles, je crois que cette forme libre ouvre la possibilité de sentir d'autres relation entre nous et les choses.
Si l’espace cartésien s’appuyait sur la géométrie euclidienne et faisait abstraction des rapports existentiels entre les choses et l’être humain en leur substituant l’objectivité de ses cordonnées pour définir une position, les physiques newtonienne et einsteinienne, bien qu'elles en aient contredit les contours, n'ont pas réussi à renverser le lourd héritage qu'est le dualisme radical entre l’espace intérieur de la subjectivité et l’espace extérieur des objets.
Lire les objets que nous présentons ici en tentant de nous libérer de ce rapport dualiste c'est peut-être les comprendre autrement, mieux. C'est pouvoir sans doute les saisir comme expressions des conflictualités, peurs et espoirs, des époques qui les ont vus naître.

De la meule préhistorique à l'abstraction des avant-gardes du vingtième siècle, il existe certainement des liens invisibles autant qu'inconscients qu'il est possible de mettre en perspective.
Les moments où ressurgissent ces formes, les tensions qui les traversent, disent peut-être quelque chose de leur force symbolique et de leur usage pour nous.
La « nature » elle-même -au sens de l'érème, du grec ἔρημος, ce lieu solitaire, désert prétendument non marqué de l'empreinte de l'humain- génère ces formes arrondies, non anguleuses que l'on connait tant dans le fruit du ballet sonore des galets roulés au rythme des flots que dans le contours des lacs, les méandres des fleuves, les pillow-lavas de laves, les volutes gazeuses, que dans les contours de l'infiniment petit du vivant (cellules, globules, organes).



Nous pourrions nous arrêter là, convaincus que c'est dans ce spectacle autonome, qui n'a en-soi pas besoin d'un spectateur pour l'observer et l'imiter, que résiderait la source intarissable de cette famille de forme. Il me semble que le geste est pourtant plus malin car il ne suffit pas à l'âme et à la main de voir pour qu'un faire apparaisse.
La formalisation mathématique euclidienne n'est pas non plus un départ, elle n'est pas non plus une réalité univoque, mais un système de lecture et d'analyse de la forme. Elle analyse le monde à partir de concept géométriques rigoureux, définis et quantifiables. Nous avons vu que la forme « libre » n'est libérée que de l'usage de ces signes élémentaires pour lire la forme mais qu'une modélisation mathématique en est toujours possible.

Reste qu'il est difficile de tracer une généalogie de l'épanouissement d'une forme. Pour cela il faut tenter de saisir les signes du temps qui modèlent et donnent sens à une évolution formelle.
Interroger une forme c'est peut-être quitter l'espace euclidien et son dualisme sujet/objet, pour l'interroger plus intuitivement, à l'aune des sensations qu'elle induit et produit dans son usage.

Si certains outils préhistoriques maintiennent les contours d'une pierre polie et si la plastique de l'art pariétal porte aussi cette candeur de la souplesse des tracés, on peut penser que l'informe présuppose la forme, que l'inconscience du trait n'est qu'instituée par la mathématique.
C'est aussi que le monde est mou, malléable, qu'il se laisse pétrir partout et toujours dans ses formes. Ces formes justement sont inassignables à un ensemble de signes, ou à un système, autrement que pour le lire. Elles ne sont pas déterminées par ces outils. Les plus vieux artefacts de l'histoire humaine connue sont justement ces incantations plastiques simples que, de l'Aurignacien au Magdalénien, l'humain tailla ou modela partout sur son territoire sous la forme de ces figures féminines souples et plantureuses que l'on appelle aujourd'hui des Vénus. Le célèbre galet de Makapansgat n'existe comme vestige que parce qu'il est la preuve du regard posé sur une forme de la nature, sinon ce serait un caillou parmi les cailloux.
Depuis, cette forme molle, souple, dynamique que ne vient rompre aucun angle, aucune saillie, aucune lignes droite, sert différents usages. Elle est partout irréductible à un point de départ mais semble au contraire s'épanouir sous la seule conjugaison des propriétés plastiques de la matière, de l'intention du geste, du dessein d'une forme.
Ailleurs, et plusieurs millénaires après, c'est encore cette ligne souple qui émerge dans la céramique Jōmon de l'avant-Japon. C'est encore elle qui pointe dans l'émergence de la forme simple dans l'époque médiévale nippone où se codifie l'art du thé.
C'est encore elle, bien que moins spontanée- qui s'exprime dans le baroque et la rocaille que le délassement du premier dix-huitième siècle imagine. Ces tables « rognon », ces modelés chantournés chers au style Louis XV ont probablement à voir avec une problématique du dessin libre, intuitif que la main levée jette sur le papier et que l'artisan s’échine à saisir malgré la rudesse du burin, du ciseau à bois et l'infrastructure lourde de l’orfèvre.

« Je n’ai su mon métier que depuis la découverte que j’ai faite, que la ligne courbe était le contour de toute chose, et jamais la ligne droite. (…) et c’est ainsi que doit être dessinée une femme, un horizon, enfin tout » confiait à l'aube du vingtième siècle le génial Eugène Carrière à Edmond de Goncourt.
Dès que la forme est souple, elle porte un autre monde; tout aussi bien que dès qu'elle s'abreuve à l'ordre de la ligne et de l'angle, elle dit aussi quelque chose. C'est même, au fond, à rester un instant sur le terrain occidental, une grille de lecture, un outil de la sempiternelle et inexorable articulation entre l'idée d'un ordre et celle d'une liberté (que d'aucuns peuvent appeler désordre), la lutte entre le formel et l'informel, le tracé mathématique et le caractère spontané d'un trait cursif, le classique et le baroque, le néoclassicisme et le soleil noir du romantisme.
Les histoires de ces tempéraments, de ces vicissitudes restent à écrire, leur cœur profond restent à sonder et dépassent largement notre ambition ici.

À partir des objets comme terrains de recherche, nous avons choisi d'articuler notre perspective autour d'un moment particulier, un pivot qui articule des imaginaires différents déployés dans ces formes.

Notre chemin nous portera vers un avant et un après, il interrogera l'histoire autour et à partir de la catastrophe atomique dans une tension dialectique capable de tenir ensemble des concepts censés s’opposer. Pas pour faire naître une nouvelle solidité ou d'autres assurances, mais parce que plus de choses s'affleurent ainsi, et en se frottant à peine, elles créent autre chose.

Ce point de départ interroge des surgissements singuliers de la forme libre: que s'est-il passé pour que s'articule sous un jour renouvelé une expression millénaire ?
Le vocabulaire fluctuant et malhabile sur la question est déjà d'un éclairage certain. Cette forme simple, libre est aussi appelée rognon, organique, atomique, cellulaire, biomorphique selon les moments et ce flottement sémantique nous renseigne sur certains impensés de ces séquences spécifiques.

Essayons donc d'entendre des voix dans les voix, de raconter comment l'histoire et son usage sont pliés dans les arts populaires japonais et occidentaux de l'avant-Hiroshima et comment d'autres objets nous racontent un surgissement inédit dans le monde tétanisé de l'après-Nagasaki, en tensions entre peur nucléaire et idéologie de la foi progressiste.


Avant Hiroshima

Un des moments importants qui porte la forme simple nous a déjà plusieurs fois interrogé ici. Au cours du seizième siècle japonais à la charnière des périodes Muromachi (室町時代, 1336-1573) et Azuchi Momoyama (安土桃山時代, 1573-1600), alors que la domination incontesté du Daimyō Hideyoshi Toyotomi a centralisé le pouvoir hors des mains de la figure divine impériale et que la vie du Japon n'est plus rythmée par d'incessantes guerres, s'ouvre une séquence qui voit se poser les bases essentielles de l'art japonais.
Les différentes voies (la voie du thé, la voie des fleurs, la voie de l'arc, etc.) qui agrègent les enseignements spirituels du bouddhisme et du shintoïsme avec une ascèse laïque s’épanouissent et portent avec elles des mondes, des codes et des manières qui vont faire fructifier les arts et artisanats nippons. Les formes souples sont partout dans ce Japon, des casques de guerriers samouraïs jusqu'aux bols de thé et le chadō -ou voie du thé- devient un canal primordial de la vie sociale de ce temps.

Sous l'impulsion du Maître de thé Sen No Rikyū (et de ses prédécesseurs Murata Jukō et Takeno Jōō), l'art du thé ouvre la voie à une manière inédite qui fonde un idéal de simplicité. Auparavant de grandes et fastueuses fêtes qui affichait une préférence pour les accessoires onéreux d'origine chinoise (appelés karamono), les « cérémonie » du thé deviennent des exercices spirituels qui dessinent les contours théorisés et synthétisés d'une existence heureuse et simple.
Ce wabi-cha (わび茶) est alors un nouveau style de réunion de thé qui se caractérise par sa simplicité. Au centre de l'esthétique de Rikyū se trouve la petite salle de thé dont les dimensions et attributs suggèrent l'humilité.
La simplification radicale de l'intérieur de la salle de thé, sa réduction de l'espace au strict minimum nécessaire pour une « rencontre », devient la façon de se focaliser sur la communion entre invités et hôtes.
Avec Rikyū, le wabi atteint sa signification la plus profonde et paradoxale : un être en alliance avec des choses matérielles considérées comme auxiliaires pour transcender le matérialisme stérile.
Rikyū commence également à concevoir et à classifier ses propres accessoires de thé auxquels il demande d'évoquer -donner voix- à une beauté simple, tactile et sensible. Il porte ainsi l'émergence des bols Raku qu'il fait exécuter par modelage à l'artisan Chōjirō (fondateur de la dynastie Raku encore en exercice) qui les fabriquait pour lui et créé ses propres objets pour le thé, comme des pots de fleurs faits en simple section de bambou. (sur ce sujet voir notre exposition La fleur et le Bambou, ikebana et paniers japonais et le futur chapitre 2 du cycle Forme(s) simple(s). )



À compter de ce moment essentiel du développement artistique nippon, émerge une lecture que l'Occident ignorera tant qu'il n'aura pas réussi à sonder la puissance de son propre art populaire (a-t'il jamais tenté réellement de le faire?). Avec l’esthétique du wabi-sabi qui irrigue la pensée et les gestes de Rikyū c'est toute une économie plastique qui se fait jour.
La forme aura la trace de la main humaine ou l’empreinte de la nature. Un bol sera avant tout l'impression de celui qui le modèle, l'équivalent plastique d'un trait à main levée. La trace insondable d'une unité entre geste, âme et sens.
À partir de là s'ouvre une voie extraordinaire. En sondant l'ordinaire, le discret, l'invisible, le simple pour qualifier une éthique nouvelle, au-delà du beau et du laid, le Japon du seizième siècle renoue inconsciemment avec la simplicité paléolithique et néolithique. Le culte esthétique pour les pierres, les suiseki ou jardins secs, ou le travail des bonsaïs en sont de bons exemples qui résonne encore dans la simple et sublime collection de galets de mer que nous présentons.

Cette éthique prône le retour à une simplicité, à une paix avec son milieu, pouvant influencer positivement l'existence, où l'on peut reconnaître et ressentir la beauté des choses imparfaites, éphémères et modestes.
Elle peut s'éclairer par les pratiques encore trop peu connues de l'art du kintsugi, qui consiste à souligner de laque d'or les accidents d'un objet cassé au lieu de les masquer ou de disqualifier l'objet.
On peut également convoquer le concept de Mono no aware (物の哀れ) cette « l'empathie envers les choses » ou cette « la sensibilité pour l'éphémère », utilisée par Motoori Norinaga dans son interprétation du Dit-du-Genji. Il est question à plusieurs registres et à plusieurs intensités d'un appel questionnant le sentiment du quotidien au travers de ce « frisson douloureux de la chose qui va disparaître » comme on le traduit aussi.
Cette séquence ouverte, nous permet de croiser des beautés aussi sublimes que sensibles. Si wabi invoque l'intuition d'une beauté réduite à une simplicité essentielle, sabi tient ensemble l'écoulement du temps, la patine, le renoncement à l'éclat d'une beauté neuve et le sain délaissement face au temps s'écoulant inexorablement. L'idée est d'accepter les usures, les rides, l'éphémère, les irrégularités. Au-delà de les accepter, il s'agit d'aimer ces marques du temps qui animent les choses, les rendent intelligibles et apprivoisables.
Les Japonais mettent ainsi en usage l'idéal d'une beauté intuitive, humble et discrète, ressentie plus que vue, une beauté incluse dans le mouvement de la nature entière et du cosmos où les traces et les imperfections sont des qualités qui hantent l'invisible.



Ces céramiques nippones que nous présentons, ce chawan comme ces merveilleuses coupe kensui et Katakuchi sont autant de formes libérées d'un carcan esthétique au profit d'un être éthique. Leurs formes sont « simples » parce qu'elles puisent leur essence dans un geste d'enveloppe, de caresse. C'est la main de l'artisan qui en désigne le tracé, l’échelle et les aspérités. Le tour du potier ou la main agissent de concert lorsqu'il s'agit de modeler une forme qui répond à la main et qui implique le geste de saisissement de la chose, son usage.
Il est coutume de dire que les deux mains jointes comme lorsqu'on s'abreuve à une fontaine donnent la mesure du bol ; c'est aussi vrai de dire que l'amplitude des gestes du potier détermine, par-delà la plasticité de l'argile et les propriétés de la cuisson, la forme de la chose. C'est une chose bien connue, mais trop oublié, qui nous replace en un temps où n'existait aucune distinction entre le dessin et le dessein d'une chose.

Mais la main n'est pas le seul étalon de la forme libre qu'affectionne l'ancien Japon. Pour affiner notre approche il faut aussi saisir que la forme est l'expression d'un sentiment de la chose.  « La forme, c'est le fond qui resurgit » disait avec justesse Victor Hugo.
Il n'est pas anodin, ni insignifiant, que des cultures différentes aient développées des formes extrêmement différentes. Ainsi par exemple, pour justifier le développement du motif géométrique dans la culture islamique, on met souvent en avant l'interdit de représentation figurative qui détermine cette culture, rien n'est jamais aussi univoque et pour dresser une lecture plus juste, il faudrait articuler cette explication avec bien d'autres contingences historiques et sociales ; saisir que la science astronomique et algébrique du monde musulman n'est pas sans rapport non plus avec ce trait stylistique par exemple.

Si le Japon ancien a développé dans une multitude d'aspects un goût pour la formes simples, des poteries préhistoriques Jōmon au monde flottant des estampes érotiques c'est notamment que se dresse une fascination pour le souple, cet état entre le mou et le rigide qui dessine des lignes cartilagineuses, molles et tendues, charnelles.
Des coiffes Kanmuri et Eboshi des prêtres shinto aux éléments de l’architecture se dégage cette ligne souple et dynamique que l'Occident a peu usité. Elle emprunte à une douceur du tracé qui laisse une part importante au sensible à un au-delà de l'espace géométrique euclidien et qui se fonde davantage sur les possibilités plastiques des matières, sur le respect des matériaux et ce que l'on peut attendre de l'usage d'une nature qui n'est pas mise au travail mais qui est célébrée comme mise en acte autrement par l'humain sans perdre son être cosmologique.



Ainsi du bois caressé des crochets traditionnels nippons, les Jizaikagi, qui supportent la crémaillère centrale des anciennes maisons japonaises en s'auréolant au fils des ans d'une patine subtile qui vient magnifier les contours déliés du bois. Idem pour les légendaires Jingasa, ces casques de samouraï, carapace tendre, dont la forme apparaît tellement souple, douce et apaisante à l'observateur européen que l'on peine à saisir leur fonction martiale. C'est la laque qui dans sa simplicité robuste et sa plasticité illimité permet ce tour de force qui ruse avec les sens.

En Europe, lorsque sur toile de fond des traitées commerciaux imposés au Japon et la révolution de Meiji, on découvre les arts du thé, le grès nippon, les laques et autres trésors japonais jusqu'alors presque inconnus, ces formes font l’effet d'une déflagration. Le souffle est puissant et les artistes découvrent un ailleurs qui vient questionner le trop dogmatique héritage classique. Il existe donc sous leurs yeux effarés un autre beau, fondé ailleurs et sur d'autres perspectives et d'autres rapports au matériau.
L’œil des observateurs est alors hanté par ces lignes inhabituelles, ces modelés, ces textures que rien ne nous avait préparé à appréhender dans cet Occident où règne en maitre l'idéal gréco-romain et sa beauté qui vise la perfection de nature intellectuelle et suprasensible. Dans ses Pensées sur l’imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture, Johann-Joachim Winckelmann plaidait bien la supériorité de l'art antique, il en faisait un absolu, l'horizon définitif de l'art: “Une noble simplicité et une grandeur tranquille, tant dans l’attitude que dans l’expression, voilà en définitive le trait général qui distingue par excellence les chefs-d’œuvre grecs. De même qu’en son fond la mer demeure toujours calme, si furieuse qu’en soit la surface, de même l’expression des effigies grecques, quelle que soit la passion qui les agite, fait paraître une âme grande et toujours égale.” Il ignorait encore que la statuaire grecque s'exposait à l'origine dans une polychromie acide et naturaliste.

Ailleurs, les autres arts sont presque inaccessibles, entachés dans leur appréhensions d'une condescendance impérialiste qui empêche de saisir l'horizon qu'ils pourraient pourtant dégager.

Le Japon est donc une percée inattendue et impérieuse.
Il y a bien quelques signes notables dans la stimmung du moment, et en Europe, William Morris et la pensée Arts & Crafts, Rudolf Steiner et l'anthroposophie, les recherches ésotériques du Bauhaus de Weimar, les spiritualités profanes de Wassily Kandinsky, Piet Mondrian ou de Frantisek Kupka peuvent se lire aussi à la lumière de cette percée.
En France, à partir de l'impulsion de Jean Carriès, c'est toute une constellation d'artistes qui à l'appui de la flagrance japonaise vont tâcher de dégager l'horizon pour qu'émerge une beauté qui ouvre le champ de l'imparfait, du quotidien, d'une beauté à contempler mais aussi à saisir de ses mains, inassignable à un système. Les formes sont logiquement douces, peu anguleuses, simples, comme nourries de la candeur archaïque d'une nature repensée et saisie dans sa dynamique propre que les débuts de l'industrialisation et le positivisme avaient relégué au rang de croyances en lui substituant le rationalisme et son fer de lance qu'est l'idée de progrès.

Cette beauté simple était pourtant depuis toujours sous des yeux trop incapables de voir. Évidemment, on ne la croisait pas dans les palais et à la cour car, comme le dira plus tard Jean Dubuffet, «l'art ne vient pas coucher dans les lits qu'on a faits pour lui; il se sauve aussitôt qu’on prononce son nom: ce qu'il aime c'est l'incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s'appelle.»
Là où s'oubliait où s'ignorait l'exigence formaliste et académique de l'Art, pu s'épanouir un art populaire, riche de sa simplicité, de ses gestes ancestraux renouvelés dans l'exigence du présent. Il eut fallu, tel un maître de thé, être capable de saisir cette beauté déjà-là dans un bol paysan, dans un épi de faitage magnifié de sa bulbeuse simplicité, dans un tissage, dans une écuelle en bois.

L'histoire de l'art, dans son développement bourgeois, ignora longtemps cette adresse à la simplicité. La méprise ne fut cependant pas partagée à égalité en Europe. L'art finlandais, ce Japon européen, sut saisir avant d'autres, le sens d'un usage d'une nature non pas domestiquée et exploitée mais avec laquelle hourdir des alliances complices. L'art populaire finlandais et son design en sont la preuve pérenne.
L'onde de choc formée par l’émergence de la forme simple, mais aussi par le japonisme ou par la valorisation des arts populaires ouvrit lentement une voie qui devait demeurer minoritaire tout en trouvant à s'articuler avec les aspirations de certaines avant-gardes.
Le cubisme, l'abstraction luministe et musicale qu'une nouvelle synesthésie devait révéler et articuler aux romantismes européens participèrent aussi à la lisibilité de formes souples, grasses, molles qui intéressent notre perspective ici.
L'émergence de Brancusi et de sa gestualité féconde en sont une autre expression qui ouvre aussi un champ. Les arts formels et les apports folkloriques y sont entremêlés pour que se réinvente la sculpture.
Malgré le contre-effet stratégique et dominant du rationalisme nouveau, héritier oublié du néoclassicisme qui dès les années 1920 va structurer une certaine idéologie, la brèche est ouverte qui empêche un retour à l'ordre.
Le mou est là dans sa liberté, dans sa familiarité et sa féconde candeur. Le martial angle droit Corbuséen lui-même devra abaisser sa garde sous peu devant l'évidence conjugué de la douceur.
Je ne ferai pas ici la description, ni l’analyse du riche biomorphisme des années 1930, de cette forme libre des surréalistes, qui de Salvador Dali à Roberto Matta Echaurren questionnent déjà la rigidité mortifère d'un rationalisme trop aveuglé de progrès technique et de normalisation.  Qu'il me suffise de citer Matta qui, dans un article intitulé Mathématique sensible – Architecture du temps, paru dans la revue Minotaure N° 11 en 1938, expose des prémices essentielles à mon propos : "Il s'agit de découvrir la manière de passer entre les rages qui se déplacent dans de tendres parallèles, des angles mous et épais ou sous des ondulations velues à travers lesquelles se retiennent bien des frayeurs. L'homme regrette les obscures poussées de son origine qui l'enveloppaient de parois humides où le sang battait tout près de l’œil avec le bruit de la mère.
(...)
Il nous faut des murs comme des draps mouillés qui se déforment et épousent nos peurs psychologiques ; des bras pendant parmi des interrupteurs qui jettent une lumière aboyant aux formes et à leurs ombres, de couleur susceptibles d'éveiller les gencives elle-mêmes comme des sculptures pour lèvres.
(...)
Ce serait un mobilier qui déchargerait le corps de tout son passé à angle droit de fauteuil, qui délaissant l'origine du style de ses prédécesseurs, s'ouvrirait au coude, à la nuque, épousant des mouvements infinis selon l'organe à rendre conscient et l'intensité de vie. Trouver pour chacun ces cordons ombilicaux qui nous mettent en communication avec d'autres soleils, des objets à liberté totale qui seraient comme des miroirs plastiques psychanalytiques."
Cette résonance contre le fonctionnalisme, il semble que l'historiographie peine à l'entendre autant qu'elle peine à donner corps au lien qu'elle voudrait lui substituer. 

Si la main et la fortune d'un être-nature inconscient avaient étés les matrices de premières formes libres, l'ère atomique va venir éclairer autrement cette famille de forme millénaire et reconfigurer son histoire (et la nôtre).

 

Après Nagasaki

L’histoire du design est avant tout une histoire croisée de la ligne et des usages mise en perspective sur une toile de fond sociale, technique et éthique. Au cours des siècles de l’époque moderne, la ligne droite n’aura de cesse d’affronter la courbe en des joutes infinies où le mouvement est en permanence réinventé. Qu’elle soit classique, symétrique, baroque ou libre, la ligne est le point de départ du dessin, le degré minimal de la forme.
Au cœur de cette recherche se trouve l’articulation entre le dessin cursif d'une forme simple et celui, plus global, de la consistance d’un moment.
Les décors sont des lieux où l'on pense. On l'a déjà compris, si au sortir de la seconde guerre mondiale un important renouveau formel s'inaugure, il n'existe pas pour autant comme mouvement identifiable autour de l'idée de forme simple, pas même dans la ramification précise qui nous intéresse dans ce premier chapitre sur les rapports entre simplicité et références à l'organique, au biomorphique.
Seules s'exposent des formes, qui se métamorphosent à l'aune du temps qui les voit naître comme de celui qui les observe.

La doxa de l'histoire de l'art ne s'est pourtant pas épargnée d'épingler la forme simple de l'après-guerre comme un mouvement identifiable et assigné. Ainsi, dans la présentation de l'exposition La forme libre, années 50 au Centre Georges Pompidou en 1996, le commissariat imagine une fausse continuité: « Après «L'esprit rationaliste des années 20 et 30 » présentée dans la galerie du musée fin 1994, Centre Georges Pompidou propose une exposition autour de la « forme libre » thème fédérateur retenu pour aborder les années 50. Ce mouvement qui recouvre tout à la fois l'inspiration puisée dans les formes organiques ou mathématiques et la volonté d'introduire « poésie et lyrisme » dans l'héritage fonctionnaliste s'exprime le plus souvent par opposition. En architecture, il se démarque du brutalisme architectural, et en design se situe en marge de la production d'objets industriels des trente glorieuses naissantes. »
Deux phrases plus loin, peu après la juste évocation d'Hans Arp et de Charlotte Perriand, le texte s'oblige à convoquer Le Corbusier même s'il lui faut admettre que celui-ci n'a emprunté la voie de la forme libre qu'exceptionnellement. Il eût été plus honnête de rappeler que pour ce dernier la droite est la seule ligne « saine » et « noble » à l'opposé de la courbe « ruineuse, difficile et dangereuse, (...) le chemin des ânes. » Les mythes ont la peau dure en France, et ici, comme souvent dans les institutions béates devant Corbu, les commissaires préfèrent dire n'importe quoi que de réfléchir.
Les commissaires de Pompidou font fi des tensions qui dépassent de loin l'infusion candide d'un soupçon de « poésie et lyrisme » dans l'héritage fonctionnaliste.
Évitant de sonder ces aspects précis au profit d'une lecture simpliste qui introduit « poésie et lyrisme » dans un fonctionnalisme censé être indépassable c'est pourtant compromettre une lecture plus fine décèlant que, dans cette séquence, prend forme un creuset qui éclaire bien des aspects des décennies suivantes.
Il faut admettre que cette fausse perspective historique, malheureusement si peu usée alors qu'elle a été trop contée, trouve sa fausse légitimité dans l'imaginaire positiviste de l'idéologique chrononymie « trente glorieuses ». Cette notion forgée par Jean Fourastié dans un tour de force étonnant de partialité, s'est imposée et continue, malgré son caractère idéologique, a positionner la voix feutrée et trop consensuelle de certaines recherches sur les années d'après-guerre.

Il serait peut-être plus sage, comme notre perspective l'assume, de saisir que le formalisme dont il est question est nécessairement polymorphe et insaisissable dans ses expressions hors d'age et variées.
Il est donc un aspect que l'historiographie académique évite mais que le passage précité dit néanmoins en creux: la réapparition singulière de cette forme libre dans l'après-guerre s'inscrit dans un contexte inédit où l'ère atomique remet en balance des fondements humains anciens, questionne le progressisme et où la création se trouve traversée par des questions existentielles de première importance.
À l'aune de notre présent, il semble donc que regarder les conditions de la ré-émergence de la forme libre dans l'après-guerre offre un horizon plus émancipé des mythes de la modernisation et d'un progrès trop inattaquable. Une manière plus sereine d'aborder cette période pourtant riche en conflictualité politique et écologique.

Le passé suscite, à vrai dire, deux types d’études: l’archéologie qui rêve sur des réalités et la mythologie qui concrétise des fictions. Chaque domaine a ses limites et ses règles difficiles à transgresser, sinon en jouant.
Ce qui résonne donc dans ma tentative ici, peut nous permettre de se délester des impondérables, de mesurer ce qui dans le discours dupant des "trente glorieuses" relève de nécessités érigées en contingences.
L'art permet aussi d'éclabousser le trop beau tableau et de réactiver des intuitions qui permettent de rejouer autrement les rapports entre collectivités, mémoire et formes artistiques.
Jouons à ricocher ; ce qui éclabousse surprend.



La rupture forte avec le répertoire formel de l'entre-deux-guerres s'installe discrètement dans la décennie qui suit la libération. Si l'imagerie populaire et l'ornementation figurative, qui avaient trouvé une impulsion forte en réaction au machinisme dès les années 30, se retrouvent dans le faisceau de lumière de l'immédiat après-guerre, une mutation est en route qui reconfigure les rapports à l'ornement. Comme en d'autres temps d'accélération technique, les jeux sont brouillés et les anciennes distinctions séculaires entre ordre classique et alternative minoritaire peinent alors à éclairer les enjeux de ce présent.

Au-delà de l'échelle de la main et de l'éthique mise en perspective dans la première partie de ce texte en ce qu'elle propose une alternative minoritaire au dogme de l'ordre néoclassique, l'après-guerre offre d'autres conditions à la réactivation de la forme libre biomorphique.
La ligne trouve une voie inédite, elle s'arrondit sans tension, elle ondule librement plus qu'elle n'est courbée, la chorégraphie souple de ce qu'on commence alors à appeler la forme libre, s'installe à tous les niveaux du paysage quotidien, des projets architecturaux les plus ambitieux aux motifs riants des robes d'été.
Ces formes imitent ou répondent intuitivement à un modelé du vivant, elles font écho à ces formes que sous-tendent des ossatures, des cartilages, à ces matières molles dont les contours sont dessinés par des structures invisibles.
Telles une commissure entre des doigts, telle la liaison entre un lobe et un cou, telles un globule microscopique, ces formes dessinent un rapport réactualisé à la souplesse.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, les jeunes qui ont passé leur adolescence dans l'urgence du conflit s'époumone dans une urgence vitale à tuer le père. Leurs parents ont habité un monde qui a produit l'horreur. Ils ne peuvent oublier à l'heure de se voir dans le miroir, que tant que nous vivrons, nous aurons à vivre avec nous-mêmes comme le dit alors Hannah Arendt.
Certains cherchent à rompre avec un Occident qui malgré les déclarations pacifistes de bon ton, fait mine d'ignorer ce qu'il a engendré et laissé être. Les résonances sont violentes pour cette jeunesse pour laquelle il y a un besoin impérieux d'imaginer de nouvelles formes de vie propres à orienter durablement un autre être-au-monde.
La séquence se mobilise à plusieurs allures, d'une part, ceux qui viennent de traverser la guerre doivent réapprendre à vivre sans cette urgence qui, au-delà de sa violence, marque du seau du vrai la quotidienneté. Il y a un demain à organiser.
Symboliquement aussi, s'il s'agit de continuer à vivre, se pose la question d'un comment ?
Les expériences sont nombreuses, autant que les motivations qui les suscitent, et ce n'est pas dans ces quelques lignes que nous prétendrons résumer la richesse de leurs implications.
Ce que nous voudrions défaire à minima c'est l'idée béate qu'un optimisme bien fondé et à toute épreuve ait pu incarner à lui seul le souffle de cette séquence historique.

Certains aspects semblent particulièrement saillants pour ce qui concerne les artistes.
Certains imaginent une rapport nouveau à la création: cette communauté inventive -une partie de celles et ceux qui se croisent dans les ateliers des Beaux-Arts ou dans la rue- hume que c'est dans une vie simple que s'animera leur espoir d'une pratique qui donne sens à la vie en tenant ensemble l'être et le faire. Ils choisissent d’engager leur propre subjectivité dans une quotidienneté dont ils ne connaissent ni ne peuvent prévoir les conséquences. L’outil qu’utilise le mouvement est le plus efficace, celui de la transformation du quotidien. Beaucoup préféreront le défi des arts décoratifs, le souffle de l'usage contre l'immobilisme et les mondanités du cénacle culturel qu'alimente l’idéologie des Beaux-arts.

En toile de fond de cette prise d'autonomie collective, un point crispant demeure qui est au centre de ce chapitre : puisque d'Hiroshima à Auschwitz s'est pensé l'impensable, puisque le langage semble trop impuissant à communiquer l'indicible, il faut, à certains, chercher ailleurs, coûte que coûte et c'est par une forme d'intime repli qu'une expérience voit alors le jour.
Avec les désastres humains d'Hiroshima et de Nagasaki les promesses de l'ère atomique s'inaugurent en larmes et en peurs. « C'est en tant que morts en sursis que nous existons désormais. Et c'est vraiment la première fois. » dit Günther Anders.
La fission de l'atome a tout changé, sauf notre manière de penser le monde se lamentera Einstein dont les travaux ont pesé, à son corps défendant, sur le projet Manhattan qui aboutira au largage de la bombe Little boy sur Hiroshima et de Fat man sur Nagasaki.
En ces matins d'été 1945, en un instant, environ 200 000 vies humaines et leur écosystèmes sont sacrifiées sur l'autel de la paix et sur celui de la lutte discrète contre le communisme. (NB. Truman avait choisi d'accélérer le processus atomique et valida l'idée d'un bombardement soudain devant l'avancée trop rapide de l'armée rouge pourtant censée être son allié contre le Japon).

L'arme atomique est allée tellement loin, tellement profond, elle a souillé les chairs et contaminé les illusions d'un savoir orgueilleux. L'existence humaine a été salie jusque dans ses aspects les plus infimes, les plus intimes. En une quête salutaire nourrie de désespoir, d'aucuns vont alors chercher cet infime degré à partir duquel recommencer à vivre. L'humanité se cherche probablement inconsciemment un nouveau point de départ, une nouvelle échelle symbolique. L'atome, la molécule, l'humain dans sa composition microscopique alimentent pour le meilleur et pour le pire cette prise de conscience : la forme devient alors "organique","biomorphique".

Si, exprimée ainsi, cette dynamique semble bien fondée, elle s’épanouit dans une tension entre deux pôles, dans un paradoxe. Elle habite l'espace entre l'espoir et l'amnésie, entre le soin et le déni.
La fabrique du consentement de nos démocraties occidentales se met à l'œuvre, elle va participer à transformer l'atome et ses fondements mortifères en promesses de lumières, à rendre indistincte une dénonciation et le port d'un espoir incarné dans une nouvelle échelle. Quelques esprits voient clairs mais ils sont rares. Albert Camus dan son éditorial dans Combat daté du lendemain de l'attaque d'Hiroshima écrit ceci: « Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes, que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. »
L'atome pour le meilleur mais sans le pire donc, pourtant « celui qui a inventé le bateau a aussi inventé le naufrage » prévenait Lao-Tseu comme pour questionner, par anachronisme, l'étrangeté de l'horizon de Norbert Wiener, fondateur de la cybernétique pour qui « nous sommes des naufragés sur une planète vouée à la mort.»

Pendant ce temps, les rideaux sont parsemés de globules colorés, le mobilier prend des allures inspirées de ces formes souples et dynamiques et la guerre froide et sa course nucléaire préparent un monde où « l'absence de futur a déjà commencé » dénonce déjà Günther Anders.



L’Occident est dans une période transitoire et le vingtième siècle, après l’effondrement éthique de la Seconde Guerre mondiale, semble se délester de ses ancrages passés. En l’espace de dix ans, la France passe de la Reconstruction à un processus de société de consommation, les innovations techniques deviennent incantations quotidiennes et déferlent dans la vie. La voiture et la télévision prennent une ampleur nouvelle. Aux idéologies totalitaires de l’entre-deux-guerres se substituent celles, univoques, de la science et du progrès technique comme moteurs apparemment incontestables de l’humanité. Le positivisme scientiste joue à plein régime et d'aucuns perçoivent dans les moyens de la science des méthodologies adéquates pour concourir à la libération de l'humanité (occidentale).

L'humain, dans son rapport au monde se veut, une énième fois depuis la Renaissance, l'échelle signifiante. Le Corbusier impose son modulor et met de côté -un temps- la droite ligne rationaliste.
Mais tout cela sonne comme un renoncement.
Pour avoir abordé la question de biais, l'occasion de voir que l'humain fait monde avec le vivant et le non-vivant est manquée, et la pensée susceptible de questionner ces rapports, compromise pour longtemps.
Souvent décrites à tort comme un temps d’insouciance, les années 1950 sont surtout un moment d’effervescence ; ce qui est en jeu alors n’est pas tant l’opposition manichéenne entre vieux monde et modernité que l’avènement du possible. Le temps s’émerveille de sa puissance, quitte à s’en aveugler. Ce contexte dans cette tentative de repartir du plus petit élément, aura comme corollaire pervers l'érection de la vie biologique comme échelle de la vie de la cité, annonçant peut-être le grave revirement du politique en biopolitique tel que Foucault le décrira ensuite.
Sur un autre plan, les alertes écologistes des personnalistes tel Jacques Ellul ou Bernard Charbonneau ou du creuset situationniste incarné chez Guy Debord ou chez Asger Jorn paraissent tristement prémonitoires aujourd'hui. Les années de guerre ne sont pas si loin et la rupture idéologique et dynamique qu’elles ont engendrée est consommée. L'humain se prépare à manger la terre.

Pendant ce temps, la nouvelle génération de créateurs tente intuitivement de s’affranchir d’un héritage académique et développe des manières inédites. Pas alors de table rase comme les thuriféraires de la fuite en avant aime le répéter jusqu'à plus soif. Au contraire, la tradition est connue, et lorsqu'elle est bien éclairée, elle n'impose nullement la poursuite éternelle d'une forme, mais porte au contraire l'espoir que  «se fonder sur les vraies traditions ne consiste pas à les reproduire fidèlement mais à créer du nouveau à partir des lois pérennes qui les régissent» comme le scande habilement Charlotte Perriand en questionnant à bon escient le credo moderniste. Mais malheureusement sa voix porte peu face au rationalisme productiviste.
Les français découvrent vraiment dans les années 1950 la teneur de l’esthétique industrielle portée par un discours idéologique. Il faut voir comment encore aujourd'hui le proto-marketing d'un Raymond Loewy est porté aux nues quand dans le même temps les étudiants des écoles d'art ignorent souvent jusqu'au nom d'un William Morris pourtant tellement plus utile à notre présent.

La coopération diligentée entre "force de l’industrie" et intelligence des formes prend de l’ampleur et présente au public une image du design en devenir mais la réalité est souvent plus rude. L’Italie est présentée comme un exemple privilégié de cette association célébrée entre art et industrie. Profitant d’une tradition qui ne distingue pas autant que les Français architecture, décoration intérieure, mobilier, artisanat et design, ayant eu malgré la guerre une rupture moins rude, ayant même reçu un temps un soutien du régime fasciste envers les tenants d’une certaine modernité, et jouissant enfin, en dépit d’un faible développement industriel, d’une large main-d’œuvre maintenue à bon marché et « flexible », le pays va vivre ce que certains ont osé appeler « le miracle italien ». Ce miracle est alors surtout économique, le PIB fait office de boussole au détriment de la réalité quotidienne des ouvriers. Le passage en force à l'ère industrielle ne se fait pas sans violence sur le monde ouvrier, dépossédé de ses savoirs et projeté comme les travailleurs globalisés d’aujourd’hui dans la totalitaire loi du marché. L’Italie prépare alors le terreau des luttes ouvrières et autonomes qui feront sa riche histoire de la fin des années 1960 à la fin des années 1970.



Le style 50, quand on l’évoque, est donc souvent incarné par ces formes dites organiques rompant avec la prééminence de la droite des années d’avant-guerre. La courbe serait symbole du souffle de liberté / d'inconscience qui semble caractériser ce moment. Ces formes exubérantes que l'on explique souvent niaisement par une appétence pour le ludique et le fantasque, trouvent surtout des origines plastiques dans le large courant pictural abstrait dont Hans Arp, Juan Mirò, Wassily Kandinsky et plus tard Alexander Calder sont les protagonistes. Mais avant cela, l'art préhistorique, les arts populaires, les dessins d'enfants avaient ouverts la voie sans crier gare ni revendications.
La forme curviligne intègre le mobilier, les luminaires et, dans une moindre mesure mais avec audace l’architecture, que ce soit dans le découpage des espaces, les gammes de couleurs adoptées ou dans un subtil mélange de sobriété technique et d’originalité formelle.
La liberté de forme permet un jeu infini de matières et d’harmonies colorées qui jalonnent des espaces inspirés par cette quiétude érigée en programme.
Peut-être l’Exposition universelle de 1958, l'Expo 58 organisée à Bruxelles, est-elle révélatrice de ce retournement intellectuel qui nie les tensions à l’œuvre dans l'époque.
Si à « l'origine », la forme simple réapparait en dans un contexte marqué par les doutes sensibles et inconscient des artistes face à l'ère nouvelle et si la matrice infinitésimale sonne comme un refuge, une récupération habile transforme ces questions légitimes en programme modernisateur et participe à désactiver sa véritable puissance critique et sa lisibilité.



La thématique de l'Expo 58 semble sur ce point sans équivoque. L’objectif est de dresser un « bilan du monde, pour un monde plus humain ». Avant la gueule de bois du productivisme et de la surconsommation capitaliste et bien avant le glas du capitalocène, le besoin de consolation et l’espoir semblent trop inébranlable dans l’avenir que plébiscite l’idéologie dominante de cette époque. Dès qu’apparaissent les affiches et autres logos de la manifestation, le ton est donné. Mélange de rondeurs et de lignes obliques dynamiques, l’exposition sera souvent présentée trop simplement comme une illustration de l’esprit joyeux, insouciant et coloré des bandes dessinées enfantine de l’époque. L’emblème extravagant qu’est l’Atomium de l’ingénieur André Waterkeyn et des architectes Jean et André Polak, reprend à l’échelle monumentale la maille élémentaire du cristal de fer, et annonce la coloration scientiste de l’exposition et éclaire la direction que prend le monde, quinze ans après l’entrée dans ce qu’on appelle alors l’ère atomique, tournant décisif du siècle.
L’Expo 58 se veut celle des perspectives futures. L'ombre des cités-martyres Nagasaki et Hiroshima est dégagée, niée. La science semble devenue garantie et l'exposition réunit en son sein les fantasmes les plus diverses et propose au monde un avant-goût du quotidien auquel le capitalisme aspire.
En taisant toute conflictualité, elle semble ouvrir un horizon univoque qui mélange facilité de la vie quotidienne, voie unanime vers le progrès scientifique et rejet de tout héritage passé. S’y côtoient la voiture de l’avenir, la DS – qui est, de manière non anodine, présentée sans roues, tel un véhicule volant –, la sculpture architecturale Poème électronique du pavillon Philips réalisé par Le Corbusier et Xenakis, la lumière des néons omniprésents, la clarté prophétique du pavillon de la Grande-Bretagne.
Tout n’est que rondeurs fluides et dynamiques ou obliques élancées semblant défier les lendemains qui devront chanter.

Devant ce déballage bruyant, on aurait rêvé d'interroger avec John Cage et ses 4:33 notre capacité à sonder la matière du silence et son sens.
Ce lourd silence de l'ère atomique est-il un aveuglant faisceau de lumière nourri de déni, porte-t'il les germes de la catastrophe écologique qui nous entoure aujourd'hui ?
Heureusement, une minorité consciente mesure que cette aveuglante modernité occidentale peine à cacher la violence écologique, la colonisation et son impérialisme féroce qui n'ont pas fini de saigner le monde. Tenter de désigner ces antagonismes ici, leur redonner voix, semble important pour saisir la richesse de la séquence historique et de ses matérialités que sont les œuvres d'art.
C'est aussi là que sert une histoire de l'art qui, lorsque la forme s'expose, sait lire des antagonismes occultés par le mythe des trente glorieuses, quelque part entre le rouleau compresseur de la modernisation et de ses victimes irradiées, entre ses espaces pollués et ses cerveaux colonisés.

Interroger la forme c'est alors trouver une autre porte d'entrée vers ce qui s’érige contre la mythologie des modernisateurs aux conséquences si lourdes, c'est réévaluer ce qui tient la période et donner voix aux vaincu.e.s, aux oublié.e.s qui bien avant la critique fondamentale de 1968 ont su inscrire ces questions dans leurs pratiques et leur vie quotidienne.
Les œuvres présentées en sont les témoins. Chacune convoque un monde qui impacte sa forme, le regard de son.sa créateur.trice, dit une position dans cet après-guerre comme dans les années qui suivent et qui gardent intacts les enjeux évoqués ici.



La rondeur douillette des céramiques du grand Georges Jouve ou de la coupe monumentale de Janine Boyer, la chaleur enveloppante du surtout en bois poli, le mystère des images d'Yves Tanguy, des formes de Philippe Hiquily ou d'Yves Rhayé ou encore les « globulations » de cet étonnant vase quadripode nippon ou de la céramique d'Alexandre Kostanda pour Louis Giraud sont autant d'invitations de l'histoire à sentir la pâte de ce détour salutaire vers le tendre et le souple et de ce qui se protège dans ces plis.
Dans notre présentation par l'objet, il faut aussi deviner cette douceur malléable et les engagements éthiques qui structurent cette œuvre de Norbert et Jeanne Pierlot à Ratilly ou ce photophore d'Annie Maume de Sancerre, ou ces formes dermiques chères à l'univers d'un Jean -Mœbius- Giraud qu'utilisent les artistes américains Daniel Cavey et Jane Bass.
On peut aussi se laisser habiter par la suavité tactile du geste du duo Seyve & Chaudet, par l'élégance évidente de la ligne laissée en partage par Stig Lindberg dans sa porcelaine, par Claude Chauvy dans les caresse de son bois, par les Potiers d'Accolay dans leurs inventions ou encore par la beauté limpide du vase d'Otto Gerharz outre-Rhin.

Ce moment que tente d’interroger notre article c'est bien lui que nous raconte ce très rare vase des frères Cloutier au modelé subtile présenté au Salon des Ateliers d'Art de mars 1958 ou cette œuvre unique au coloris corbuséens du rare Jean Mégard, seul potier signataire du manifeste du groupe Espace par lequel André Bloc et Félix Del Marle cherchent à renouer avec la « synthèse des arts » chère au Bauhaus pour fonder « l’harmonieux développement de toutes les activités humaines » dans la vie quotidienne. Ce que raconte ce vase merveilleux par exemple, c'est ce moment où des figures comme Étienne Béothy, Sonia Delaunay, Jean Dewasne, Remy Le Caisne, Jean Gorin, Edgard Pillet, Ionel Schein, Nicolas Schöffer, Pierre et Véra Székely, Victor Vasarely, Jean Weinbaum ou encore Jean Prouvé pensent un collectif qui appréhende l'art comme phénomène social, comme médiatisation dans la vie quotidienne.
Ce que dit ce vase, c'est cet élan transdisciplinaire orientés vers la recherche d’une nouvelle spatialité et d'un usage intense de ses possibilités dans la quotidienneté.

Les objets, comme les idées, sont l'histoire de l'âme humaine dans le monde, il n'en est pas un qui ne pose pas question.
Mais la vérité surgit seulement par étincelle.
Ce que nous cherchions à faire ici, c'est à arracher de l'oubli la consistance de ces moments et de ces choses, à exposer les fils invisibles, secrets qui lient le vivant, les choses, l'espace et le temps en une danse où doivent s'assumer les contradictions, la division politique, les échos salutaires ou propagandistes qui œuvrait conjointement et inextricablement.
Nous voulions regarder la pâte du temps dans les yeux pour ce qu'elle dit autant d'un enthousiasme euphorique que d'une intense remise en cause des formes de la vie après la guerre. Comme une soif de l'arracher au silence qui l'entoure et paralyse nos actions, notre regard et nos usages des choses.

Beauté et laideur du silence

Il y a un envers et un endroit du silence. Comme le dit merveilleusement l'écrivaine Clarice Lispector « Entre deux notes de musiques il y a une note, entre deux faits il y a un fait, entre deux grains de sable, fussent-ils unis, il y a un espace, et il y a une façon de sentir au milieu des façons de sentir- c'est dans les interstices de la matière primordiale que passe la ligne de mystère et de feu qui est le souffle du monde, et le souffle continu du monde est ce que nous percevons comme silence, et appelons silence. »
Si le silence est parfois oubli, il est aussi capacité d'écoute, entrée à l'intérieur des choses. Le silence libère du bavardage et permet de retrouver la voix pour ce qui doit être dit et d'affronter l'oubli et le déni.
Le silence est bruyant et les objets, dans cet apparent mutisme, offrent de saisir la conflictualité qui les a nourris.

À l'heure où l’enthousiasme progressiste de l'après-guerre laisse un héritage dur à avaler, où beaucoup s’interrogent sur le modèle productiviste-capitaliste libéral et son appétit destructeur, ces objets sont aussi des balises, des outils de questionnements, des témoignages. Ils nous disent en creux que les raisons de l'inquiétude que nous vivons était prévisible il y a cinquante ou soixante ans -et donc évitable. C'est donc que certains y ont travaillé pour gagner du temps et de l'argent, sans souci de ce qui peut ou non faire monde.

Pour le comprendre, il m'a semblé utile de finir ici sur ces quelques mots de Günther Anders publiés en Allemagne en 1987 à la suite à l'accident nucléaire de Tchernobyl et dont la publication récente en français (Éd. Fario, 2014, merci à eux) sonne à merveille contre certains atermoiements dans les manières de mener l'action dans les luttes écologiques présentes.

Dans cette interview titrée simplement « La Violence : Oui ou Non, une discussion nécessaire » Anders, alors déjà un vieil homme dont beaucoup saluent le pacifisme précise son espoir:

« Je suis aujourd’hui arrivé à la conviction qu’on ne peut plus rien atteindre avec la non-violence. La renonciation à l’action n’équivaut pas à une action. […]
Nous sommes réellement – personne ne peut le contester – dans une situation qui, juridiquement, peut, non, doit être décrite comme légitime défense. Des millions d’hommes, toutes les vies sur Terre, c’est-à-dire aussi les vies à venir, sont menacés de mort. Pas par des gens qui voudraient directement tuer les êtres humains, mais par des gens qui s’accommodent de ce risque ; et qui ne peuvent penser que factuellement et techniquement […] économiquement et commercialement.
Nous sommes donc dans un état qui, d’un point de vue juridique, est un « état d’urgence ».
Tous les livres de droit, même ceux du droit canonique, non seulement autorisent la violence mais l’encouragent face à un état d’urgence. […] Il faut rendre cela évident aux yeux de nos contemporains.
Il n’est pas possible d’atteindre une résistance efficace par des méthodes aimables, comme celle consistant à offrir des bouquets de Myosotis aux policiers qui ne pourront pas les recevoir parce qu’ils ont leur matraque à la main. Il est tout aussi insuffisant, non, il est absurde de jeûner contre la guerre nucléaire. Cela ne produit un effet que sur le jeûneur, à savoir la faim ; et peut-être la bonne conscience d’avoir « fait » quelque chose.
Cela n’intéresse absolument pas Reagan et le lobby nucléaire que nous mangions un sandwich au jambon de plus ou de moins. Ces gestes ne sont en réalité que des « happenings ». Nos actions pseudo-politiques actuelles ressemblent vraiment de façon effrayante à ces pseudo-actions qui sont nées dans les années soixante. Elles aussi, chatoyaient déjà entre apparence et être. Ceux qui faisaient ces happenings croyaient vraiment franchir la frontière et aller plus loin que ce qui n’est que théorique, mais ils restaient pourtant des « actors  » au seul sens de comédiens. Ils faisaient seulement du théâtre, et cela, véritablement, par peur d’agir réellement. En fait, ils ne portaient aucun coup, ils provoquaient seulement un choc. Et même un choc qui devait procurer du plaisir. Le théâtre et la non-violence sont étroitement liés. […]
Je tiens pour nécessaire que nous intimidions ceux qui exercent le pouvoir et nous menacent (des millions d’entre nous). Là il ne nous reste rien d’autre à faire que de menacer en retour et de neutraliser ces politiques qui, sans conscience morale, s’accommodent de la catastrophe quand ils ne la préparent pas directement. »

Dans les choix qu'il y a à peser, dans les coups qu'il y a à porter, les objets donnent à entendre d'autre voix moins censurées, une autre échelle, une autre consistance à la nécessité d'une forme que le choix entre l'inconscience et l'horreur. Ils disent un regard sur ce plurivers, sur cette échelle commune qui porte de plus belles perspectives pour nos écosystèmes.

Ils disent ce qu'il y a dans le silence, sous le silence, son espoir, sa gène, ses hontes et sa richesse de dire et de faire.




Augustin DAVID, deux mille dix-neuf

Merci à Jean-Louis Gaillemin pour nos échanges et son clin d'œil à Minotaure, pivot manquant de cet article.

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