Dans l'après-guerre, au cœur des Flandres, une constellation d'artistes questionne l'art.
Autour de l'atelier phare Perignem, ils imaginent la possibilité d'une beauté neuve, discrète et sauvage en sondant les manières de faire une vie.
Ce n’est jamais la même histoire et pourtant c'est une seule histoire !
Une histoire au cœur de laquelle se dessine une position qui résonne encore aujourd'hui d'un écho puissant.
« Il s'agit d'interrompre le récit historique (...) de bloquer le cours de l'histoire, en arrachant au passé et au présent leurs images pour les remonter ensemble. L'art du montage consiste à faire surgir des constellations. »
Walter Benjamin
Raconter une histoire, c'est toujours raconter des histoires.
C'est comme dans la nouvelle Dans le fourré, le chef-d'œuvre du romancier japonais Akutagawa, qui inspira le célèbre film Rashōmon de Kurosawa. On y écoute se raconter un meurtre non élucidé en confrontant les témoignages de différents personnages tous liés à l’évènement : un brigand, un bûcheron ou la victime du meurtre qui parle par la voix d’une sorcière.
L'histoire qui se joue sonne comme les monogatari -ces récits traditionnels contés qui connaissent autant de versions que de conteurs.
L’enjeu de l'auteur est de rendre sensible l'impossibilité d’une version définitive et unique des évènements. Chacun narre son histoire, donne sa lecture des faits, sa traduction. L’histoire n’est jamais la même selon le personnage qui la raconte et l'on saisit peu à peu que l'événement n’existe que pris dans ses versions contradictoires.
Ainsi va une histoire. Elle existe sous certains angles, en saillie ou en creux, voilée ou aveuglante, un instant et quelque part.
Elle n'est pas un horizon mais une perception, une tentative de dire quelque chose.
L'histoire qui nous rassemble aujourd'hui n'est pas évidente à conter. Tourner autour, parmi les voix qui la composent et l'environnent, c'est tenter de percevoir les tracés imaginaires et invisibles de la constellation qu'elles dessinent. Une constellation capable de nous faire entrevoir un autre monde possible.
Essayons.
Dans les années qui suivent la seconde guerre mondiale, la jeune Belgique connait, comme d’autres pays d'Europe, un regain d’intérêt pour l’artisanat et l'art de la céramique en particulier.
De jeunes artistes fraichement diplômés des Beaux-Arts et des écoles d'Arts appliqués sentent que l'art prend une tournure inédite.
La catastrophe planétaire qu'a été la guerre marque forcément les esprits, et si l'historiographie la plus plate voit les années 1950 comme le creuset d'un enthousiasme béat ouvrant la voie à la société de consommation, d'autres observateurs, plus inspirés ou plus impliqués, savent que les misères de la guerre sont encore en mémoire et qu'elles modèlent les vies.
Des artistes clairvoyants convoquent certaines voix trop oubliées pour questionner le sens de l'art: guildes médiévales, philosophie du quotidien chère à la mouvance Arts & Crafts, nouvelles lectures de l'ethnographie.
Ils nous rappellent à la réalité véritable - ces poètes, ces musiciens, ces philosophes, ces peintres, ces dramaturges, ces esprits sensibles, ces faiseurs de gestes.
Ils savent que l'art dans son étymologie c'est l'ars, qui signifie « composition, assemblage, combinaison ».
Ils délaissent en partie les manières de faire propres aux Beaux-Arts - et à toute pensée académique - pour plonger vers d'autres expressions.
Ils ressentent la terre comme un outil de vérité. Un garde-fou à la triche du discours, aux apories de l'urbanité. Le renouveau se fera les pieds bien plantés dans la terre ou ne se fera pas, pensent alors quelques-uns!
Ils veulent qualifier leur vie dans un faire, un comment-faire, celui là même que questionne l'art en vérité. À les regarder, d’emblée nous sommes frappés par la profonde expressivité d’un monde parcouru de signes intenses: cris, couleurs, mouvements, formes, motifs.
Autour des piliers que sont Joost Maréchal, Oswald Tieberghien, les Ateliers Perignem et Amphora, Élie Van damme, les animateurs de la Maîtrise de Nimy (en Wallonie) ou le duo Hugria, des possibilités prospèrent et développent des vocabulaires uniques en Europe.
À la croisée d’une tradition d’ateliers personnels, comme c’est le cas dans la poterie française, et d’une logique de studio d’influence germanique ou anglaise, ces artistes flamands trouvent à s’exprimer dans un langage aujourd’hui très reconnaissable.
De quoi est-il fait ? De quoi est-il le nom ?
Quand y a-t'il histoire?
Ces jeunes personnes délaissent une part des enjeux de ceux qui les ont précédés dans la valse des styles historiques pour se tourner vers des décors abstraits ou vers une imagerie subtile incarnant à leurs yeux les enjeux d’une nouvelle expression du présent de la vie.
L'art dit un regard sur le monde, il fait des choses qui incarnent la position d'où l'on contemple. Un tableau, une sculpture, un pot, un tissage sont d'abord des expressions d'une position. Hiérarchiser serait vain, idiot même, car au fond, l'horizon d'une pratique est son inscription dans la vie quotidienne.
Certains parmi eux sont marqués par le renouveau de la foi dans ce temps de la Libération, d'autres vivent hors de ces contingences mystiques et trouvent matière à leurs questionnement sur des terreaux plus politiques.
Alors aujourd'hui, tenter de raconter leur histoire, c'est questionner ce qui les lie.
On entend parfois parler d'un style belge, témoin d'une manière homogène.
Pourtant ce qui les rassemble ce n'est nullement un caractère national, ni une position commune érigée en manifeste...c'est le souci de concevoir une vie en harmonie entre son faire et son être.
Pour nous qui les toisons à distance, ils sont une entrée comme une autre vers la matière de ce qui constitue une vie.
Cela engage une méthode. Pas tant pour aboutir à une fin mais pour éprouver à cette occasion le sens de quelques questions qui taraudent ce/ceux que nous sommes.
De quelle matière sont faites nos vies ? Quelles sont les formes d'une existence ? A quoi reconnait-on un tempérament ? Comment nos existence sont-elles traversées pour que s'y dessinent les formes de nos vies ? Que disent de l'être ces manières d'être?
Lorsque l’on enquête sur un passé trop récent, non sanctuarisé dans l'écrit, le champ de recherche ressemble à s'y méprendre à une archéologie.
Les traces semblent infimes, le terrain parfois amnésique, mais toujours demeure quelque part, vivace, le sens du temps vécu, ça et là il ressurgit sans crier gare, il donne à sentir, à entendre. À penser surtout.
C'est que la mémoire des vies est parfois tenace.
Sonder un passé du faire, c'est souvent aussi spéculer, peser des intuitions et questionner les formes qui demeurent et ce que nous disent leurs pratiques.
C'est aussi aller à la rencontre de l'épaisseur de la vie, chercher à comprendre l'articulation d'un ici et d'un maintenant, le passage entre un avant et un présent, saisir des agencements, des stratégies et à peu près toujours hourdir que c'est dans la densité du vécu que les sensations peuvent exposer leur vérité, de quoi elles sont faites et ce qu'elles nous font.
Car une forme-de-vie en somme, c’est le « ce que l’on fait » de ce que l’on est.
Lorsque le terrain d'étude est large, à l'échelle d'un territoire, comme ici avec les Flandres, le risque est gros de sombrer dans les enjeux d'identités qui sont autant de pensées vaines, d'agrégats de couches de vie déformées en sédiments trompeurs.
La vie est plus fine que ça.
Elle se fiche d'adhérer à un présupposé, à un caractère attendu, national de surcroît. Ce serait mal lire des signes qui traversent les corps que de croire que se constitue quelque chose d'aussi artificiel qu'une identité nationale. Se poser la question sous cet angle, ce serait même compromettre l'intelligence de l’interrogation.
Ce qui s'expose ce sont bien plus des manières d'être liées à un temps et à un endroit (et à son envers), à des gestes qui prennent des formes de relations incommensurables entre les vivants, les choses, l'air...
Cela pourrait raconter n'importe quelle histoire sauf que toute histoire ne laisse pas entendre les mêmes airs.
Au risque de nous répéter, il faut donc tâcher du mieux possible de quitter la lourdeur de l'attendu de l'identité pour avoir une chance de lire ce qui est toujours plus humble que tout caractère, mais certainement plus juste.
Il faut laisser de coté les culs-de-sac qui bouchent l'horizon : il n'y a pas quelque chose qui fonde un tempérament, rien que des pratiques qui le traversent en le modelant.
Il faut interroger le vrai à la croisée des perspectives, sans rien préjuger de ce qu’il est.
La question est plutôt de savoir comment des personnages vivant des histoires absolument différentes peuvent-ils être en même temps les personnages d’une seule et même histoire ?
Tenter de dégager les manières de s'exposer de cet art flamand de l'après-guerre, c'est justement donner voix à des récits variés, à des voies diverses en soupçonnant qu'à leurs croisées se dessine quelque chose qui éclaire nos sensations au moment de voir les œuvres laissées en héritage.
Faire / Raconter
Alors revenons quelque peu en arrière.
Au début du vingtième siècle, jeune pays, la Belgique n'est pas nettement irriguée par les romantismes nationaux que l'on trouve par exemple dans les récentes nations scandinaves. Pour autant, le clivage entre Flandres et Wallonie accompagne le présent.
Sur le terrain spécifique de l'art, la Belgique ne jouit pas d'un passé glorieux, d'un héritage guidant les perspectives du vingtième siècle naissant. On peut aussi dire qu'elle en est libérée, affranchie.
Outre la riche culture ouvrière et industrielle, ce qui a marqué les esprits et modelé les paysages urbains, c'est le succès de l'Art Nouveau et la Nouvelle peinture symboliste qui a croisé ou accompagné son chemin.
La branche locale de cet Art Nouveau occupe une place essentielle dans ce mouvement international. Sous l'égide de Henry van de Velde, de Victor Horta et de Paul Hankar, l'architecture bruxelloise trouve un épanouissement et un rayonnement inédits.
Les principes guidant la pensée Arts & Crafts de William Morris trouvent en Belgique l'espace d'une application concrète dans une société pourtant très industrialisée et peu intéressée par ses traditions artisanales. À la manière de Jean Carriès à Saint-Amand-en-Puisaye, quelques ateliers intéressant émergent autour de Bouffiouxl où Edgar Aubry puis Roger Guérin et quelques autres renouvellent considérablement le travail du grès en s'inscrivant dans une pratique artisanale déjà séculaire mais qui déplace la production de pièces utilitaires vers une « céramique d'art » accompagnant le renouveau folkloriste de l'entre-deux-guerre.
Au même moment et avec des enjeux différents, les grandes manufactures belges de Wallonie, Boch Kéramis, la Manufacture Royale et Impériale de Nimy prospèrent en menant un travail de série et usiné.
Deux personnalités fortes du design belge posent -hors du pays- les premiers jalons d'un nouvel art de la terre. Henry Van de Velde collabore avec la Porzellanmanufaktur de Meissen en Allemagne, tandis qu'Alfred William Finch est invité par Louis Sparre à intégrer Iris, une communauté artistique et artisanale inspirée de la Morris & Co. située à Poorvo en Finlande.
Du fait d'une tradition peu questionnée, la pratique de la terre en Belgique est aussi marquée par les difficultés des acteurs à se former. Henry van de Velde ouvre une piste essentielle en créant un atelier de céramique à la Cambre mais les quelques noms qui émergent doivent aussi apprendre en autodidactes, se former en pratiquant. Si cela pose des difficultés, ceci explique aussi la liberté d'expérimentation, le besoin même, dont jouira ce microcosme dans l'entre-deux guerre et à la fin de la seconde guerre mondiale.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, les possibilités de formation apparaissent plus lisiblement. Un pétillement mélange envie, capacité et besoin de dire qui font fructifier les possibilités d'émergence d'un art réellement novateur. Autour de quelques personnalités importantes de la génération précédente tel Olivier Strebelle, s'agrègent les futures personnalités importantes de ce petit monde.
L'exposition Hedendaagse Belgische Keramiek, qui se tient au Koninklijke Musea voor Kunst en Geschiedenis à Bruxelles en 1947, marque un nouveau point de départ. Dans sa foulée, les quelques ateliers qui vont forger le meilleur de la création flamande des années 1950 voient le jour.
Historiquement, un autre point de pivot important réside dans la longue expérience de l'École de Laethem-Saint-Martin et du monde qui la baigne.
C'est à partir de 1895 qu'un certain nombre d’artistes, parmi lesquels George Minne, Emile Claus, Valerius De Saedeleer, Gustave van de Woestijne et Julius de Praetere, se rassemblent autour de la personnalité d’Albijn Van den Abeele, peintre tardif, mécéne mais aussi bourgmestre de la commune de Laethem-Saint-Martin.
Ils fuient la ville et ses difficultés sociales, attirés par l'idéal d'un retour à la nature et encouragés par les facilités de logement que leur fournissent Van den Abeele.
Là encore le lieu n'est pas nécessairement stratégique mais il annonce un foisonnement du pays qui portera nos protagonistes: « Il n'y eut peut-être pas tant attraction vers Laethem — attraction par le charme propre et l'humeur accueillante d'un village — qu'expulsion des artistes hors d'un organisme social qui, foncièrement, leur était hostile. Laethem n'aura probablement été qu'un point de fixation, un "n'importe où", résultant à la fois d'une nécessité profonde et d'un hasard. Laethem aurait tout aussi bien pu être ailleurs. »
Comme les préraphaélites et la mouvance plus politisée réunie autour de William Morris, ils cherchent une éthique dans un passé et plus particulièrement chez les Primitifs flamands, dont une grande rétrospective eut lieu à Bruges en 1902.
Leurs œuvres teintées de mysticisme et de religiosité les rattachent au mouvement symboliste « cependant, chacun arrive avec son style personnel, et le poursuit. Il n'y a pas de volonté de création d'un style commun, mais coexistence et émulation entre des individus hétérogènes. »
Au début du XXe siècle le mouvement prend une autre inclination; Frits van den Berghe, Gustave De Smet, Léon De Smet, Constant Permeke, Albert Servaes, élèves à l'Académie de Gand, fréquentent Laethem-Saint-Martin, tout comme Maurice Sys et Théo van Rysselberghe, mais sans nouer de complicité avec le premier groupe.
À la suite de la première guerre mondiale, les peintres de la seconde génération de Laethem se trouvent précisément dans des conditions plus favorables pour produire.
Autrefois rencontré à Gand puis à Laethem, le camarade littérateur Paul-Gustave Van Hecke sonne le rassemblement des tendances inédites et se faire le meneur de la nouvelle et fougueuse équipe. De son père, un socialiste gantois de la première heure et d'origine ouvrière, Paul-Gustave Van Hecke hérite la volonté de lutter pour l'émancipation. Celui qui reçut une formation démocratique anti-bourgeoise et anti-religieuse écrit en néerlandais dans des revues éphémères ouvertes à l'internationalisme, en lutte contre l'esprit de clocher. Il dénonce avec ironie le provincialisme flamand. Il se fait mécène des artistes les plus singuliers du mouvement qui amorcent le virage vers l'expressionnisme.
Au centre de Bruxelles, il installe, sous le nom de Sélection (sous-titré "Atelier d'art contemporain"), une galerie-boutique où l'on aménage un entresol en petite salle d'exposition.
On y verra figurer Laurencin et Picasso, Le Fauconnier et Matisse, Dufy et Foujita, Dufresne et Modigliani, les Hollandais Jan Sluijters, Charley Toorop et Leo Gestel, les Anglais Augustus John et Watson Williams, et parmi les peintres belges, Ensor, Smits, Gustave et Léon de Smet, Permeke, Gustave van de Woestijne, Ramah, Servaes, Masereel, Jules De Bruycker, Cockx, Floris Jespers, Paul Joostens ou encore Léon Spilliaert.
Après deux ans d'activité, le petit centre d'art est contraint de fermer ses portes par manque d'appui, mais le mouvement Sélection se développe et ne cesse de s'affirmer grâce à la revue qui porte dorénavant son nom. Elle paraît de 1920 à 1930, où en dix ans de lutte constante, d'intransigeance anti-académique et d'une acuité sévère à l'encontre des milieux officiels, le groupe formé autour de Van Hecke avec Constant Permeke, Gustave de Smet et Frits van den Berghe transforme l'atmosphère artistique du pays.
Durant les années 1960, une ultime vague d'artistes s'installe de nouveau à Laethem-Saint-Martin pour réactiver cet élan. Ils sont une source d'inspiration importante. Ils se nomment Antoon Catrie, Vic Dooms, Fons Roggeman, Luc-Peter Crombé, Hans Kitslaar, Joe Van Rossem, Chris Pots, Maurice Schelck, Martin Wallaert, Jef Wauters, Lea Vanderstraeten.
Dans ce magma dense, quelques hommes de qualité apparaissent et vont dessiner les grandes lignes d'une histoire composée où la céramique a la part belle pour sonder la matière de l'art en Flandres dans cet Après-guerre.
Joost Maréchal fait figure d'aîné. Il se pense d'abord comme peintre, intègre la formation de la Cambre et prend goût aux arts du feu. Il s'installe ensuite comme artiste en vitrail avant de s'atteler à une création proprement céramique. Utilisant son four à vitrail, il se contente d'abord de décorer des pièces produites par d'autres qu'il émaille seulement. Sa plongée dans la terre va emporter avec lui certains membres qui nous intéressent ici et dont Marc Heiremans dans son ouvrage fondateur de 2006, Art Ceramics, Pioneers in Flanders 1938-1978 se fera le chroniqueur éclairé. C'est dans l'atelier de Maréchal que viennent se former dans l'immédiat après-guerre deux membres d'une famille qui va catalyser une part essentielle de ce renouveau et sur laquelle nous nous arrêterons plus longuement: les Vandeweghe.
Commence alors à s'épanouir une constellation, sise dans un microcosme bon enfant qui explique le sentiment de familiarité, les accointances et complicités qui tendent à harmoniser rétrospectivement ce creuset belge pourtant hétérogène.
Il y a des sources et des idéaux communs dans ce terreau. Les idées circulent, les influences transpirent et ce qui s'invente c'est un rapport à la création. Comme outil du quotidien, comme ars, -art de faire.
Rogier et Laurent Vandeweghe créent ensemble à la fin de l'année 1947 un atelier-phare : Perignem (per ignem ou « par le feu » en latin).
Quelques autres noms essentiels mettent le pied à l'étrier sensiblement au même moment. En 1952 Élie Van Damme s’installe et en 1956, Jan Nolf fait de même à Bruges. Oswald Tieberghien -autre nom important de cet entrelac, crée lui son atelier en 1955 suivi en 1961 du duo Hugria formé par Hugo de Putter et Victoria Blansaer à Destelbergen près de Gand.
Signe des changements alors en cours, en Wallonie les « ancêtres » de la Manufacture de Nimy ouvrent les yeux et délaissent le temps d'une expérience leurs postulats industriels pour lancer un atelier d'art autonome au sein de la structure : La Maîtrise de Nimy. Les quelques artistes qui y œuvrent André Hupez, Georges Destrebecq, Louis Waem, Pierre Monnaie, Irène Zack, Geneviève Noé, Fernande Massart, Renée Lemaigre, Jeannine Henrion jouissent d'un cadre exceptionnel pour expérimenter : ce laboratoire artisanal paradoxalement installé dans une usine de poterie formera entre 1943 et 1950 une expérience fondatrice. Malheureusement en 1951, plutôt que de calquer les expériences scandinaves de Rörstrand, Gustavsberg ou Arabia qui ne cessent d'accueillir en leur sein des ateliers autonomes dont les expérimentations réelles servent de vitrine mais surtout de cœur respirant aux ateliers, la Manufacture préfère sonner le glas de la fête.
Le terrain n'est donc pas le plus accueillant qui soit.
En Flandres, on imagine des pratiques intermédiaires. La pratique est purement manuelle, artisanale mais le terrain industriel influence l'expérience et les intervenants ne refusent pas -de principe- les facilités techniques.
La pratique y est moins guidée par une géographie, un usage du milieu qu'en France ou en Angleterre. Loin d'être nécessairement un écueil, cela semble aussi ouvrir des voies dans le développement de formes de diffusion inédites, dans l'émergence de manières de faire qui rompent avec l'idéologie binaire ami/ennemi qui structure à son mauvais endroit les rapports entre artisanat et industrie chez le voisin français. (Le regard trop dédaigneux et mal fondé porté en France sur Denbac ou sur l'œuvre de Louis Lourioux suffira aux curieux à s'en faire une idée, cette histoire reste donc à (ré)écrire...)
Sur ce point de pivot, la route imaginée auparavant par Van de Velde éclaire peut-être cette position originale.
Quand en 1907, Van de Velde fonde, avec Herman Muthesius, Peter Behrens, Józef Olbrich et Richard Riemerschmid, le Deutsche Werkbund, les statuts annoncent : « Il n’y a pas de limites établies entre l’outil et la machine. Les produits de haute qualité peuvent être produits à l’aide de l’outil et de la machine sous condition que les hommes utilisent la machine comme outil. » Les œuvres ainsi créées doivent conserver « cette étincelle de sensibilité qui caractérise l’art ».
En 1914, sur toile de fond d'idéologie nationaliste, le Werkbund se fissure. Une contradiction éclate qui oppose Muthesius et Van de Velde. Ce dernier fidèle à ses affinités originelles d'avec la pensée de William Morris cherche à repositionner l'articulation entre artisanat et industrie. Il veut éviter le piège consistant à penser qu'un outil mécanisé équivaut à industrie. Selon lui et ses partisans, l'usage de la machine doit être perçu comme celui d'un simple outil. Il se refuse à confondre fins et moyens.
Selon lui l’industrialisation est nocive si elle forme un cadre, un impératif de production ou un quelconque horizon de développement technique et politique.
Le développement des machines ne doit pas cesser de servir l'humanité dans ses rapports quotidiens et sensibles aux manières de vivre. Muthesius lui, prêche pour le mythe progressiste en affirmant que les modalités industrielles sont dorénavant incontournables et forment les modalités de l'art en construction. Van de Velde lui répond vertement qu'« aussi longtemps qu’au Deutsche Werkbund les artistes existeront, ils protesteront contre toutes les propositions de la norme et de la standardisation. Dans la plus profonde partie de son âme, l’artiste est un esprit libre et spontané. Jamais, de bon gré, il ne se soumettra à la discipline des normes et aux types réglementaires. »
Dans le creuset industriel de la Belgique, on retrouve ces enjeux dans les manières d’être de la génération qui œuvre après-guerre, ces habitudes nouvelles lui semblent compatibles, dans des agencements qui restent à imaginer, avec une certaine éthique du faire.
En 1947, c'est sur ces formulations que les jeunes apprentis potiers pensent leur vocation. Ils veulent œuvrer à un art d'aujourd'hui, sans avoir à choisir entre la main et l'outil, sans renier les pratiques anciennes ni renoncer aux formes qu'ils seront capables de penser.
S'enclenche alors une phase essentielle de l'histoire de l'art moderne belge.
Par le feu! Perignem!
Durant la guerre de 1939-45 , les frères Rogier et Laurent Vandeweghe se forment à l'atelier d'Alphonse Baert à Sint-Lucas à Gand où ils décorent des céramiques dans les styles anciens.
Joost Maréchal, qui a remarqué la dextérité de Rogier, lui offre de collaborer avec lui dès 1947 dans son atelier d'Eeklo. Rogier se sent rapidement pousser des ailes, et dès la fin de la même année, galvanisé par la pratique, il décide de fonder, avec l'aide de son frère Laurent, son propre atelier.
Leurs débuts sont difficiles mais encourageants. Leur père leur trouve un local à Berneem et ils sont rapidement rejoints par Cécile Roets, la compagne de Laurent, qui assure les tâches administratives et commerciales. Ils commencent par produire des carreaux inspirés de ceux de Delft ou de la faïence française rouennaise.
Aussitôt que la viabilité de l'atelier est avérée, Rogier tente d'orienter la production vers des enjeux contemporains. Il veut mettre en place un vocabulaire formel neuf, proposer une poterie de grande qualité qui ne soit pas qu'une relecture des styles anciens. Il prend à bras le corps l'idée d'une poterie d'art populaire moderne qui mêle imagerie renouvelée et formes nouvelles.
Dès 1949, le virage est lancé, ils obtiennent des commandes architecturales qui les lient à des décorateurs et architectes modernistes. Leur art mène une réflexion sur la vie quotidienne. Ils sont jeunes et guidés par la pensée qu'un monde se reconstruit à travers eux et leurs semblables.
Laurent et sa compagne Cécile semblent d'abord plus mesurés sur le changement de perspective et les audaces de Rogier. La rupture qui les poussera à la scission quelques années plus tard se profile. (voir infra à propos d'Amphora).
Perignem maintient son cap.
Dans son nom même se pense quelque chose du travail démiurgique du potier. Per ignem en latin signifie par le feu. Par le feu s'imagine quelque chose, par le feu se crée quelque chose, par le feu l'artiste forge un monde comme vulcain ses paysages. Dans la production de l'atelier cohabiteront deux angles de création qui alimentent une seule et même pratique: d'une part, une production maintenant l'excellence faïencière des dix-septième et dix-huitième siècles mais œuvrant à un renouvellement des motifs dans une sensibilité de son temps; d'autre part, un goût audacieux et immodéré pour initier les formes utiles d'une céramique nouvelle.
Ainsi l'atelier ne fait pas de distinction entre un ordre ancien et la nouveauté, ses acteurs semblent conscients que leur passé est aussi leur futur. Ils battent en brèche -comme d'autres acteurs de leur temps, Charlotte Perriand en tête- la fausse distinction ancien / nouveau, tradition / modernité que la matière concrète d'une pratique artisanale invalide trop clairement.
Tout en ravivant la tradition des faïences stannifères à décors fleuris ou religieux, Perignem s'inscrit en fer de lance des innovations. L'atelier est parmi les premiers intéressés par les émaux développés par la firme chimiste Rhône-Poulenc, les artistes découvrent avec envie et jubilation les ressources du fameux rouge de sélénium, des oxydes à rendus métalliques lustrés évoquant le bronze, le titane que d'autres mettront plus de temps à digérer.
Perignem marque alors les esprits par une audace de coloris, de textures et de formes.
Les surfaces se complexifient, une forme n'est plus un contour mais devient bas-relief quand sur la surface on appose des pastilles, on gratte, on tord, on perce, on ajoute et que les émaux, en un ballet incertain mais fébrile viennent appuyer, souligner, contraster ces expériences formelles.
Les harmonies sont ambiguës, osées et caractérisent le travail de l'atelier qui impose des perceptions nouvelles aux amateurs.
Rien ne coule de source, il n'y a pas de programme, la surprise est souvent au rendez-vous. Même dans des aplats, les couleurs tranchent pour mieux s'accompagner, le rugueux vient donner sa consistance au lisse qui l'entoure. Le brillant vient affronter le mat et le profond. Le net fait face à ce qui fuse et se dérobe dans des chatoiements stupéfiants.
PERIGNEM from HrVi on Vimeo.
Ce rare court-métrage tourné vers 1965-70 donne à sentir cette alchimie qui fait passer pour simples et vifs ces mouvements qui s'exposent, qui crient quelque chose avec délicatesse. C'est un précieux témoignage qui, dans sa forme même, dit aussi l'idéal de Perignem. Il y a du sacré en jeu, un sacré réconcilié avec les profanations des codes anciens, un apaisement rare aux enjeux forts.
L'atelier Perignem s'offre la collaboration d'artistes qui guident son évolution, de Baudouin Monteyne à Myranna Pyck en passant par Jan Kellner ou Emiel Lefevere, ce sont de nombreux savoir-faire qui s'agrègent et forgent une production d'une variété extraordinaire reliée par une qualité insigne et un élan frais.
A l'été 1956 pourtant, le fragile équilibre ne tient plus. Les frères (et leurs compagnes) s'opposent; Rogier et Myranna Pyck qu'il a épousé partent créer non loin de là un nouvel atelier. Ils s'installent à Sint-Andries près de Bruges emmenant avec eux certains collaborateurs fidèles.
Mais avant l'arrivée d'Elisabeth Vandeweghe plusieurs années après, qui prendra les rennes avec une maestria exceptionnelle, Perignem doit se recaler sur ses bases pour que se maintienne une direction artistique ambitieuse.
Cela prend du temps. Plusieurs nouveaux visages apparaissent tels Camille d'Havé et quelques étudiants frais émoulus du département d'Arts plastiques de l'École d'Art de Gand (Léon Gossens ou Oswald Kuijken notamment) qui appellent à leur suite leur professeur Octave Landuyt à les rejoindre.
Paradoxalement Perignem retrouve un élan dans sa dimension moderniste alors que la scission fraternelle semblait avoir donné à chacun un cap différent.
Les collaborations sont multiples et certaines deviennent des faits d'armes à valeur de mythe, telle celle qui lie le plasticien Yves Rhayé avec Perignem.
Rhayé imagine des formes singulières qui outre leur force plastique hors norme seront des jalons importants de la sculpture des années 1950-60. "J'ai dû arracher les formes que j'ai trouvées, à plat, dans les peintures" dit-il.
Dans le catalogue hommage du Musée d'Ixelles, voici ce que dit le critique André Parinaud : "Rhayé, grand-prêtre du sacrifice, immole nos angoisses pour mieux nous libérer. Il nous rend l'innocence des mondes originels et tranche le mal en esquissant sous nos regards stupéfaits, les images des mondes possibles et des horreurs vraisemblables. Il nous ramène ainsi, à notre différence, à notre qualité, au miracle de nos vies, à la spiritualité de l'être. Rhayé exorcise." (…) "Un jour, on tentera de dresser l'inventaire de l'extraordinaire investigation que représente cette oeuvre immense, forte comme la mer et subtile comme les nuages, nourrie de soleil et des volcans de l'enfer, mais puissent les exégètes n'en pas diminuer les forces de l'innocence et les vertus poétiques, car devant une sculpture de Rhayé, comme mon cher et vieil ami Pierre Albert Biraud, je me demande toujours : " Et pourquoi y a-t-il de la terre, de l'air et de l'eau ? C'est étrange, tout cela je ne l'avais jamais vu".
Perignem marque les esprit encore durablement, les années 1965-70 ne sont pas en reste, jusqu'à l'abandon de l'atelier à l'aube des années 1980. Ses formes sont l'expression d'un moment particulier de l'art belge et occidental. Ses coloris, ses harmonies et l'excellence technique montrent un élan singulier et fondamental avec lequel seuls de rares exemples peuvent rivaliser.
Aujourd'hui, dans les murs de l'atelier Perignem, l'artiste Wouter Hoste écrit encore une nouvelle page de cette histoire, à la confluence de la matière et de la pensée, entre réécriture et joie débridée qui raviraient ceux qui l'ont animé il y a près de soixante ans.
Amphora
Lorsqu'ils font scission avec Perignem, l'atelier familial de Beernem, Rogier Vandeweghe et son épouse Myranna s'installent à Sint-Andries en banlieue brugeoise. Ils improvisent rapidement un atelier où ils ébauchent des collaborations architecturales et des éléments pour l'ameublement.
Rogier veut parfaire le sens de son expérience dans Perignem, mais il lui faut remonter de toutes pièces son outil artisanal. Cela prend du temps, il faut vivre malgré tout. Ils se dépêchent, tant que faire se peut, aidés par l'arrivée providentielle d'Elie Van Damme qui devient un soutien important et qui oriente une nouvelle production laissant la part belle aux sculpture et aux bas-reliefs, des œuvres susceptibles de toucher une audience différente et plus large que le travail de tournage. Nous sommes en 1958-59 et une posture se dessine qui permet en 1960 la création de l'entité Amphora.
Le mot amphora est une référence au grec ancien ἀμφορεύς (amphoreús), qui signifie « ce qui se porte de part et d 'autre ». L'évocation de la jarre, du pot antique est une évidence trop indéniable mais l'emploi de ce mot soulève aussi des interrogations. Si Perignem fut à son origine un atelier imaginé par deux frères, Amphora est aussi une aventure duale. Rogier et Myranna guident le projet à deux, collectivement. Ils tiennent les deux bouts d'une aventure qui recommence sous un jour nouveau. Amphora c'est peut-être aussi un écho d'un lien entre passé immémorial et devenir.
Amphora trouve son expression dans une ruée vers le présent. Les formes, les émaux, les stylisations de décor, les sujets se veulent pour l'essentiel tournés vers le renouvellement des pratiques. Ce qui opposait -dans l'audace presque inconsidérée- Rogier et Laurent s'arc-boute dans la forme du nouvel atelier. Amphora sera un chantre de l'idée moderne. Comme pour Perignem cette histoire nouvelle n'implique pas de tirer un trait sur la force d'un artisanat séculaire. Ce que Rogier et Myranna veulent écrire c'est une page nouvelle de l'art flamand. Ils forgent avec foi et abnégation un vocabulaire distinctif, une abstraction des décors qui sonne comme une signature.
L'audace déjà forte de l'atelier mère est quelque peu investie d'un sens nouveau sous l'égide de la scission. À Amphora, on semble ne se poser aucune limite. Rarement un atelier aura été aussi varié dans ses texture, ses rendus. Les enjeux des formes prennent un pas certain, puis devant la maitrise technique éblouissante, on se lâche et les émaux explosent d'ingéniosité, de liberté dans des usages presque iconoclastes. Il y flotte quelque chose de la révolution formelle qu'avait porté l'art flamand aux seizième et dix-septième siècle.
En ce sens Amphora participe de cet art flamand nouveau qui remet considérablement en question le sens du beau. Peut-être plus marqué par l'empreinte philosophique de l'Orient, le public flamand et ses acteurs ouvrent les écoutilles, forment le terrain de la possibilité d'une beauté au-delà du beau et du laid.
Expliquons-nous. Le public français, par exemple, est marqué -au fer- par l'idéal classique, la dominance de la forme, ce que Balzac montrait habilement dans sa critique de la distinction que la bourgeoisie porte encore en étendard.
Il nous semble qu'il y a plus de vrai, moins de calculs dans la posture flamande qui laisse deviner ses contours. La beauté y est sans fin, la plasticité du matériau ouvre des horizons qui ne présupposent aucune finalité, aucun mouvement de détachement, aucune inféodation à un but esthétique ou à une réthorique. En fait, les potiers font, et en faisant, ils défont nos habitudes, nos attendus, nos idées du beau, ils nous affranchissent d'impératifs pour ouvrir des champs d'expérience.
Il y a ainsi, une vraie beauté, une beauté dans l'essence, dans le faire, dans l'oser et le tenter. Cette beauté-là, toute simple, toute juste, toute présente, est la matière de leur vie. Elle est au cœur des questionnements avancé au début de notre parcours.
Plusieurs éléments éclairent peut-être le terrain qui a permis que prospère ce goût de l'expérience, ce goût des moyens comme fins. Puisque certains freins sont non avenus, s'épanouit alors une manière de faire qui réconcilie, éthique du travail et diffusion importante. Chez Perignem ou Amphora, comme chez tous les artistes dont nous présentons des pièces dans cette recherche, quelques mains œuvrent ensemble, les moyens sont concertés, les taches non pas divisées mais partagées.
L'atelier participe à de nombreux évènements internationaux et Rogier Vandeweghe est même présent à l'Expo 58 de Bruxelles en tant qu'artisan d'art et décorateur.
Dans la mouvance du renouveau de l'art sacré tel qu'il est mené en France sous l'égide du Père Couturier -celui qui commande à Le Corbusier son couvent de la Tourette- Amphora mêle des influences sacrées à la modernité plastique, à l'esthétique moderniste pourrait-on dire avec des pincettes. Son éthique, sa pratique de vie, en sont marquées : Amphora sera durablement modelé par cette pratique du collectif où les idées bouillonnent, les styles cohabitent et les formes-de-vie qui s'y déploient cultivent en commun un goût pour l'expérimentation et pour la joie du faire dont témoignent encore allègrement les œuvres laissées en héritage.
L'influence de l'École de Laethem-Saint-Martin et du mouvement Sélection qui en est un prolongement se fait aussi sentir. On sent des affinités entre les œuvres figuratives de l'atelier et la peinture d'acteurs de diverses générations de Hubert Malfait à Albert Servaes jusqu'à Jef Wauters ou Antoon Catrie pour ne citer qu'eux.
Même après le départ d'Elie Van Damme vers l'enseignement en 1958 – il continuera à proposer des modèles à ses amis d'Amphora- l'atelier maintient le cap et défend de nouvelles orientations. Les bas-reliefs sont ainsi un savoir-faire spécifique et d'une variété inouïe. Rogier Vandeweghe propose aussi des pièces monumentales qui font sa réputation.
La reconnaissance est internationale et il obtient un prix à la Biennale de céramique de Monza en Italie en 1960.
Rogier et Myranna se font aider d'une distributrice aiguisée, Greta Eggermont, qui leur permet d'accéder aux lieux de ventes et galeries les plus pointus du monde en matière d'artisanat et de design.
Amphora devient un étendard du modernisme belge, sensible, tactile, gage d'une manière originale que ne reflète pas tant le design mobilier de la période davantage marquée par l'influence de l'ingénierie rationaliste hollandaise plus froide.
Le succès est important et des pièces sont acquises par de prestigieux musées de par le monde.
L'atelier conserve coûte que coûte sa vocation innovante et expérimente sans relâche dans des directions variées, guidé par l'aura du duo meneur.
La statutaire religieuse fourmille d'inventivité, les bas-reliefs profanes animent les murs et ouvrent des perspective pour de nombreux praticiens en Europe et aux États-Unis. La qualité des émaux et leur liberté d'agencement sont mirobolants de vibrations, de richesses d’harmonie qui sonnent justes par leur aura simple et éblouissante.
Myranna, guide aussi le succès vers des terrains inédits, son rôle est déterminant. Ainsi elle adjoint à la production de l'atelier une activité d'import qui pense le décor dans une perspective quotidienne et une certaine éthique du rapport aux objets de tous les jours. Finnipon -sorte d'annexe d'Amphora, met la production en relation avec des objets de design alors inédits en Belgique et pour la plupart en Europe en montrant des œuvres de pays dont la sensibilité la touche, au premier lieu desquels la Finlande et le Japon.
Les esprits fins y verront le sens discret d'un idéal du savoir-vivre quotidien fondé sur la qualité, le dessin et l'usage.
C'est aussi Myranna qui en 1964 imagine une association internationale de designers indépendants dont les éminents membres fondateurs sont les Vandeweghe, Nanny Still ou encore Tapio Wirkkala!
Depuis les prémisses d'une culture céramique modernisée au début du vingtième siècle jusqu'à l'aube des troublantes années 1980, un microcosme, ou plutôt un monde, dresse ses expériences dans un territoire que le centrisme élitiste européen peine encore à lire.
Les acteurs que nous célébrons aujourd'hui ont forgé cette position. Ils nous ouvrent le regard vers une voie alternative : la matière d'un temps qui fut tout autant un creuset d'expériences réelles qu'une aventure quotidienne.
Au fil des années de recherches et de trouvailles il nous a semblé que s'écrivait peut-être ici une chance de questionner des pratiques, une histoire à plusieurs voix qui agrandit nos perceptions.
Les noms écumés dans les pièces présentées ci-dessous sont autant d'entrées dans cette histoire, émissaires et tributaires d'une aventure passionnante dans laquelle le dire et le faire sonnent d'une même voix et conspirent au nom du bon.
Augustin DAVID, printemps deux mille dix-huit
Les pièces présentées ci-dessous sont visibles sur simple demande, sur rendez-vous à la galerie.
Nous remercions chaleureusement Wouter Hoste pour son attention et les images d'archives qu'ils nous a laissées utiliser. Nous le remercions également pour la joie que nous avons depuis plusieurs années à le lire au travers de ses découvertes et du champ sublime de ses propres recherches présentées à la galerie Fourtin.
Bibliographie indicative:
Blog de Wouter Hoste et Harvey Bouterse, Wouter Harvey à lire en ligne.
Art ceramic, Pioneers in Flanders, 1938-1978, Marc Heiremans, Arnoldsche, Stuttgardt, 2006.
Rashômon et autres contes (羅生門), Ryūnosuke Akutagawa (trad. Arimasa Mori), Paris, Folio, 2003
Laethem-Saint-Martin : Le village élu de l'art flamand, Paul Haesaerts, Anvers, Fonds Mercator, 1982.