« Aalto, où qu'il aille, porte la Finlande avec lui » rapportait Siegfried Giedion, le célèbre historien de l'architecture.
L'ouverture prochaine à la Cité de l'Architecture de l'exposition Alvar Aalto, Architecte et designer (du 9 mars au 1er juillet 2018) offre l'occasion d'une féconde errance dans l'univers délicat d'Aalto.
La villa Mairea, œuvre majeure et éminemment personnelle de l'architecte, éclaire cette assertion mystique et sera notre guide dans cette dérive.
(Photographies : Åke E:son Lindman)
À Noormarkku en Finlande, Alvar Aalto réalise entre 1937 et 1939 une villa expérimentale pour Maire et Harry Gullichsen. Cette commande ambitieuse émane de partenaires singuliers. Maire est héritière de la compagnie de bois et papier, Ahlstrom et son époux en est le directeur.
Ce sont eux qui, avec Nils-Gustav Hahl et les époux Aalto, s'associent en 1935 pour fonder la société éditrice Artek. Si le couple Aalto ne traite pas littéralement en famille, il espère trouver en ces commanditaires attentifs une tribune pour prolonger les recherches formelles et architectoniques qu'il avait augurées quelques années auparavant (1934-36) pour sa propre habitation du quartier de Munkkiniemi à Helsinki.
En 1930, le couple Gullichsen s'installe à Helsinki et noue au fil du temps une relation d'amitié avec Alvar et Aino Aalto. Non seulement ils partagent des goûts esthétiques mais forment aussi des échanges sur des considérations sociales et éthiques visant à «promouvoir une culture moderne de l'habitation par des expositions et autres moyens éducatifs.» En parcourant la villa Mairea, ce sont ainsi les tréfonds de l'esprit d'Aalto et ce qui l'unit à ceux qui ont su l'accompagner qui s'offrent au regardeur.
L'éthique aaltienne trouve à s'épanouir un en lieu qui forme un riche exemple de la gesamtkunstwerk tant prônée par maintes avant-gardes rationalistes depuis quelques décennies mais pour lequel Aalto trouve un langage qui lui est propre et qui réussit une combinaison astucieuse des principes constructifs rationalistes sans jamais manquer de toucher au cœur.
D'aucuns affirment qu'Aalto est le praticien d'un mode d'habiter recentrant sur l'humain un rationalisme international par trop viril et systématique. Son travail s'affranchit des nomenclatures stériles d'une standardisation castratrice pour transcender les rapports de matières, les principes constructifs et leur mise en œuvre.
Autrement dit, Aalto libère le rationalisme de son totalitarisme en puissance. À la différence de Le Corbusier, les époux Aalto n'ont pas la vulgarité de croire à un homme nouveau, machiniste et hors-sol. Ils croient bien davantage à la conspiration -au souffle commun- de mondes variés capables de cohabiter et d'interagir à partir de ce qu'ils portent en partage.
À l'amitié en somme.
D'idéaux simples, Aalto fait des formes-de-vie et place la jouissance de l'habitant au cœur de sa création en poussant ses réflexions sur la commensalité, le partage de l'espace et l'intégration au milieu ambiant.
Pour Aalto, habiter c'est faire usage de la vie. Habiter un lieu c'est nouer des relations, des complicités et s'entourer pour faire usage du terrain quotidien.
Comme il l'énonçait déjà en 1926 « la ligne courbe vivante et imprévisible qui varie sans pouvoir être modélisée mathématiquement, est pour moi l'incarnation des possibles qui forment un contraste dans le monde moderne entre la mécanisation brutale et la beauté presque religieuse du vivant » .
Après maints échanges et navettes fructueuses avec les commanditaires, Aalto livre un projet d'aspect moderniste métissé des subtilités sensibles qui accompagnent toujours son dessin et d'un ancrage viscéral dans la tradition finlandaise que nourrissent en écho les idées et les expérimentations de l'architecte et de son épouse Aino laquelle se charge, au principal, de l'ameublement et de l'équipement d'objets.
Aalto emploie un plan en L qui lui permet d'agencer d'une part un espace privé sur le petit côté pour les chambres et d'autre part un espace de réception dédié aux activités de jour pour le plus grand côté. Dans l'œuvre d'Aalto, la villa représente une phase de transition entre les formes très simples propres au fonctionnalisme et une architecture certes d'obédience moderne mais plus autonome, organique et intégrant des motifs et textures de diverses origines.
Aalto fait, comme de coutume, preuve d'un sens raffiné des rapports de matières, de l'agencement des volumes et des surfaces. La maison se trouve au milieu des pins, ouverte sur la nature, le jardin accueille une piscine, pendant du sauna, ainsi qu'une cheminée extérieure. Les volumes trouvent ainsi dans la nature une existence propre se jouant des transparences et des relations entre extérieur et intérieur dans un esprit profondément finlandais, cette terre au caractère oriental où l'homme intègre sa porosité au milieu, où la lumière et l'air revêtent une importance vitale.
La villa est surtout un écrin qui accueille une famille et reçoit leur collection -ce qu'ils ont rassemblé. La Villa Mairea laisse une place importante à cet agencement, assumant que l'architecture est plus à vivre qu'à regarder. Aalto et son épouse imaginent pour les Gullichsen un cadre où s'épanouiront les solutions et meubles d'Aalto comme les tableaux de Lautrec, Modigliani, Léger ou Rouault collectés par les propriétaires mais aussi les nombreuses collections de verreries italiennes et de céramiques européennes qui animent la vie du foyer.
Les intérieurs de la villa Mairea jouent subtilement avec les bois, le rotin, la pierre et les briques vernaculaires et s'articulent en un ensemble contrasté entre volumes généreux des espaces de réceptions, auxquels s'ajoutent l'attribution d'espaces dédiés à une activité particulière et volumes plus humbles des chambres sans jamais sacrifier à l'usage intime escompté.
Il y a beaucoup à dire encore, à voir et à vivre surtout. La villa Mairea peut être alors l'émissaire lumineux d'une philosophie centrée sur la vie familiale. Un espace commun qui sait la position sociale de ses commanditaires mais la balaye pour les libérer d'un carcan et leur offrir un foyer.
Pour les autres restent les leçons fécondes d'un habitat non ostentatoire combinant le luxe de l'attention et la probité de la mission de l'architecture.
Augustin DAVID, 2011 *
Nous remercions de tout cœur Åke E:son Lindman de l'agence Lindman Photography de nous avoir permis d'utiliser les belles images de son reportage sur la Villa Mairea.
(images ©Åke E:son Lindman)
*Cet article reprend la version rédigée en 2011, en d'autres lieux, à l'occasion de la sortie de l'ouvrage Inside the villa Mairea de Kirski Gullichsen et Ulla Kinnuken.