La joie intense d'emprunter le chemin ouvert par cette œuvre extraordinaire de Suzanne Ramié nous offre au passage quelques perspectives saisissantes.
Errons quelques instants dans la matière de cette vie à la recherche de nos sens.
C'est parfois manquer un rendez-vous avec la vie que d’opposer raison et passion. Dans l’entrelacement intime d'un être-au-monde, où l'intuition et le sensible dialoguent avec le connaître et le faire, il est parfois vain d'exposer la biographie.
Au mieux elle dit un chemin.
Puisque la route est plus large que longue, tâchons de voir ce qui respire sous les faits, en usant de la biographie pour ce qu'elle est: un simple moyen.
Suzanne Douly nait en 1907, elle se forme à l'école des Beaux-Arts de Lyon entre 1922 et 1926 où elle fréquente les ateliers de céramique et de décoration. Elle y noue d'abord contact avec la céramique comme seul support d'un décor peint. Remarquée, lauréate de divers prix dès son cursus, elle décide d'entrer dans la maison de textile lyonnaise Gillet et Tahon comme dessinatrice.
C'est en ce temps qu'elle fait la connaissance de Georges Ramié (1901-1976).
Ensemble ils décident de quitter Lyon et partent en 1936 s'installer sur la Côte d'Azur où Georges Ramié possède une propriété familiale qu'il envisage de transformer en domaine arboricole. Suzanne travaille alors dans l'agence de publicité d'Aimé Maeght à Cannes. Elle tourne alors son regard vers Vallauris où exercent encore, malgré la crise du secteur, quelques ateliers de poterie utilitaire qui maintiennent en éveil un savoir-faire provençal.
Elle décide de se former aux techniques traditionnelles auprès de l'atelier de Jean-Baptiste Chiapello. Marquée par la mouvance de redécouverte des arts du quotidien qui connaît alors de beaux jours sous l'impulsion de Georges-Henri Rivière, Suzanne Ramié cherche à saisir la substance de la poterie vallaurienne.
En 1938, après leur mariage, Suzanne et Georges Ramié s'installent physiquement à Vallauris. Suzanne loue un espace à une vieille famille de potiers et s'adjoint l'aide un tourneur hors-pair : Jules Agard. Les époux font leurs armes en redécouvrant avidement le répertoire de formes tournées issues des traditions locales. Les pièces sont animées d'une vigueur toute personnelle qui s'abreuve à la source de l'imagerie populaire méditerranéenne.
L'atelier met au point une collection complète pour les arts de la table en réactivant certaines formes oubliées et en ravivant le répertoire provençal.
Elle ne cherche pas à copier les éléments du passé mais à réactiver -à rendre opérant- certains usages incarnés dans ces pièces. Le soleil du midi est un guide et une adresse à la vie bonne où le commensal -celui qui partage son repas- est une figure symbolique essentielle.
En 1940, les Ramié décident de se lancer et fondent enfin un atelier. Il tire son nom de leurs initiales respectives : Madoura (pour MAison DOUly RAmié). Suzanne Ramié y convoque ainsi aussi bien des formes rurales que les pièces exceptionnelles de la création locale du XVIIe au XXe siècle.
Les pièces usuelles sont d'abord vernies à l'alquifoux en vert ou jaune : elle redonne vie à des services de table Louis XV, des épis de faîtage, des bourraches, et autres gourdes. Elle questionne la typologie de la poterie populaire et inventorie ses structures et ses techniques pour en redessiner les formes.
Cette capacité à relire la tradition sous un regard neuf, fécond restera, tout au long de la vie de l'atelier, un fil d’Ariane.
La guerre vient les surprendre en plein succès naissant.
Les Ramié rentrent d'abord à Lyon et présentent leurs pièces au public citadin avec le même succès. La guerre -par-delà sa misère- est un terrain d'intensité, chaque acte dans son urgence porte le sceau du vrai. Suzanne et Georges réfléchissent et attendent, fébriles: ils décident de revenir à Vallauris où la vie suit un cours assez protégé.
En 1941, Suzanne expose dans le cadre de l'exposition Artistes et Artisans à Cannes et en 1942 elle est présente à l'Exposition des Arts et Traditions populaires de Nice où elle obtient une médaille d'or.
Le succès pressenti ne se dément pas et l'exemple qu'il forme encourage d'autres jeunes artistes à déserter le giron éculé des Beaux-Arts pour l'expression franche et vivante des Arts Décoratifs.
La guerre fait office de déclencheur : le sens d'une vie quotidienne y est questionné impérieusement. Les réponses sont vives comme l'élan qui portera dès la fin de la guerre les futurs grands noms de cet âge-d'or aujourd'hui célébré : André Baud, Roger Capron, Marcel Giraud, Robert Picault, René Maurel, Henri Grailhe, Ozère, Juliette Laurent-Mazaudois, Max Boissaud, Les Archanges (Gilbert Valentin), La poterie du Grand Chêne (Odette Gourju et Lubina Naumovitch), Jacques Innocenti, Juliette Derel, Les Argonautes (Isabelle Ferlay et Frédérique Bourguet), Eugène Fidler, Alexandre Kostanda, Gilbert Portanier, François Raty, Jean Derval, l'atelier du Tapis Vert, ou encore Sébastien.
Le mouvement n'est pas coordonné mais collectif. Suzanne et Georges Ramié font alors figures de pionniers de cette vague contestataire qui délaisse les grands centres urbains. Leur vie est prescrite pour interroger le quotidien et les complicités avec les composantes multiples du terroir.
Les tentatives de récupération réactionnaire des divers élans initiés de part le monde dès les années 1930 par des mouvements militants ont fait long feu. Si les diversités de monde trouvent parfois à s'arcbouter entre personnalistes chrétiens, existentialistes, et terreau autonome communiste, à certains égards ils partagent une envie et une force qui les rapprochent: c'est la recherche d’un faire vivant, couplé à un idéal de vie, qui pousse ainsi de nombreux artistes à la recherche de racines sur lesquelles grandir.
À la Libération, la vie de l’atelier Madoura s’épanouit dans ce temps fécond de l'après-guerre. Suzanne Ramié est de toutes les expositions vallauriennes et son travail trouve des échos dans les importantes galeries parisiennes : La Galerie Mai, La Roue ou La Hune. Les décorateurs se saisissent aussi de son travail qui nourrit leurs projets.
En 1946, Les Ramié participent à l'exposition Poteries, fleurs et parfums au Nérolium de Vallauris et c'est à cette occasion que Suzanne rencontre Pablo Picasso. La rencontre sera importante pour les deux protagonistes.
Picasso est aussi sensible aux questionnements sur l'art au quotidien. Il veut travailler la terre, accéder à la vérité que la matière expose... L'année suivante, les Ramié lui ouvrent les portes de l'atelier.
Jules Agard sera son soutien et le célèbre Pablo peut vivre au rythme de la céramique avec une voracité qui met presque en péril la vie matérielle de l'atelier. Pour y contrevenir, Picasso et les Ramié s'accordent sur le principe d'édition de pièces qui assure la pérennité de la structure et participe du rayonnement exceptionnel de Madoura.
Le pari est néanmoins osé.
Par cohérence et volonté de s'affranchir, Suzanne Ramié abandonne à Picasso toutes formes Madoura sur lesquelles il jette son dévolu et, afin de ne pas entrer en concurrence avec lui, elle renonce au décor tracé pour se concentrer sur les jeux d'émaux en superposition.
« il ne pousse rien à l’ombre des grands arbres » ?
Dans l'ombre lumineuse de Picasso, Suzanne va devoir redoubler d'attention pour conserver une existence d'artiste. Suzanne bat en brèche l'assertion de Brancusi selon laquelle « il ne pousse rien à l’ombre des grands arbres ».
Aidée par la vivacité de Jean Derval qui travaille avec elle entre 1948 et 1951, elle ne se laisse pas vampiriser et met au point une manière Madoura qui permet la cohabitation avec ces grands artistes qu'elle accueille bien volontiers.
L'atelier Madoura ouvre ainsi la voie à un accueil véritable et au fil des ans, Marc Chagall, Henri Matisse, Georges Braque, Hans Arp, Victor Brauner, ou encore Sébastien, viennent y travailler, aidés par une équipe soudée et attentive.
En 1961, Les Ramié ouvrent une galerie Madoura à Cannes et en 1965 une galerie d'exposition au cœur de Vallauris. Au-delà du succès commercial autour de Picasso, l’œuvre de Suzanne peut y briller à la hauteur de son importance.
Même dans le marasme du pot-pourri commercial de Vallauris de la deuxième partie des années 1960 où les marchands du temple opacifient avec leurs pacotilles et autres ersatz la réelle visibilité des vrais artistes locaux, Suzanne Ramié tient le cap qu'elle s'est imaginé pour révéler « l’essence cosmique de la matière ».
Son travail demeure marquant par sa justesse, son équilibre entre formes et coloris, son caractère sculptural sans égal.
À sa manière toute singulière, Suzanne Ramié répond à la remise en jeu picassienne du rapport forme/surface. Avec elle, la forme trouve la force de sa substance, de son corps si bien pesé où le contour se laisse oublier pour dévoiler un volume subtilement imaginé. La couleur vient dans la même impulsion magnifier la forme, l'interroger et la signifier. L’être contenu dans la forme semble s’ouvrir à la conscience du monde.
Il est dur de dire l'épaisseur d'une telle simplicité tant elle procède du génie, l'économie du résultat laissant peu d'outils matériels au néophyte pour saisir l'intense densité du chemin qui guide l'œuvre. Pierre Staudenmeyer dans son ouvrage La Céramique française des années 1950 l'exprime ainsi « son œuvre est marquée par une double recherche : celle de la lisibilité des volumes d'une part et celle de l'émaillage, conçu comme un révélateur de la forme d'autre part. »
Suzanne Ramié est importante car elle participe a rendre inopérante la scission entre sculpture et objet, parce qu'elle a laissé le simple exprimer la richesse de l'être, parce qu'elle a nourri sa pratique du sentiment juste d'une beauté quotidienne.
Les pièces de Suzanne Ramié sont éthérées; l’œil peut difficilement en maintenir les contours. Le mat absorbe la lumière et la retient sur sa surface comme un effleurement. Le brillant, étincelant, absorbe l’espace et réfléchit la lumière. Avec la terre comme support, l’artiste rejoint Gaston Bachelard pour qui « le corps de l’oiseau est fait de l’air qui l’entoure, sa vie est faite du mouvement qui l’emporte »...
D'aucuns voient dans cette perfection formelle un étendard moderniste, mais ce qui est peut-être patent au sens d'une volonté de rénovation du regard ne doit pas aveugler. Si les pièces de Suzanne Ramié font disparaître les traces du travail manuel ce n'est point pour ressembler à la froide et finie perfection industrielle, mais pour focaliser les sens, mettre en évidence la continuité des lignes, souligner les courbes et l'équilibre d'un dessin. C'est pour quitter le terrain parfois alourdi du fait-main où l'égo est censeur et la figure de l'artiste un frein à lire l'œuvre en vérité.
Reste que cette innovation n'est pas l'apanage du modernisme même s'il lui sert souvent d'alibi.
On l'oublie trop mais Suzanne Ramié est aussi une coloriste incroyable. Dans les années 1960 et 70 son œuvre évolue vers des pièces sculpturales et géométriques.
L'artiste se déleste des mécanismes du motif anthropomorphe et zoomorphe. La couleur est son alliée : la vigueur des teintes intenses ou diaphanes se conjugue à la délicatesse des aplats et mélanges. Elle utilise parfois en aplat des teintes crues et denses comme son bleu proche du bleu Klein, son rouge vif, son jaune d'urane ou son blanc crémeux.
En d'autres circonstances, elle se joue des demi-teintes et appellent la sublimation du volume par le miroitement des abricots, des beiges, des verts-d'eau, des bruns, des bleus ciels disposés en glacis rappelant le meilleurs des cuissons de haute température.
A l'instar de ses contemporains nordistes Stig Lindberg, Gunnar Nylund, Berndt Friberg ou Carl-Harry Stålhane, elle réinvente sur le terrain de la faïence des effets de fourrure de lièvre, des nuagés subtils à faire vibrer d'admiration les amateurs des poteries Songs.
Suzanne a soixante ans et encore bien des choses à dire.
Et Hans alors?
L'œuvre qui appelle notre attention ici est un exemple rarissime dans le cheminement de Suzanne Ramié : c'est une plaque monumentale de 72 x 32 centimètres où s'expose en un dégradé mirifique une poésie paysagère abstraite et lyrique.
À la confluence de l'abstraction d'Hans Hartung -qui s'installe lui aussi à Antibes avec son épouse Anna-Eva Bergman en 1960 dans le giron des Maeght- et des pierres de rêve orientales, Ramié déploie un sursaut incroyable.
Nous sommes au seuil des années 1970, Suzanne Ramié est âgée et comme une invocation à Jean Dubuffet et à ses idées neuves sur l’œuvre essentielle des artistes vieillissants, elle parachève son œuvre dans l'intimité féconde de sa prime vieillesse.
Les enjeux des années Picasso sont loin, Ramié peut se laisser guider par son parcours et par la liberté acquise dans sa création.
Elle aime créer d'un amour d'une intensité folle, et jusqu'au dernier moment, il n'y a rien de plus urgent pour elle que de se surprendre, de composer une dernière harmonie. Les œuvres de sa dernière période forment ainsi un sommet dans son art délicat.
Maintenant que l'art d'une fin de vie trouve davantage droit de cité, on mesure enfin la richesse de son possible apaisement, celui d’une intime connaissance intérieure, jugée à tort moins intéressante que la fougue des œuvres radicales de la jeunesse.
Poncifs à parts, c'est probablement aussi que certains savent que la jeunesse n'a pas d'âge et que le feu du faire et du dire n'a que peu à lier avec la froideur biographique.
Suzanne Ramié, elle, c'est certain, trouve un épanouissement final surprenant. Sans rien abandonner de sa tendre rigueur formelle, elle délaisse les aplats tant aimés pour guider les couleurs dans des étreintes discrètes et sensuelles que ses chamarrures vibrantes des années 1960 laissaient tout juste entrevoir.
Elle use de son savoir et juxtapose, superpose et agrège des coloris qui font interférence autant qu'ils s'épousent harmonieusement. On connait quelques plats sublimes où la transparence des glacis sert une construction vibratoire.
Notre œuvre offre plusieurs angles d'accroche.
On peut d'abord la saisir comme une envolée influencée par le lyrisme scientifique d'un Hartung qu'elle a pu croiser dans la vie antiboise ou par l'entremise de complices communs tels Christian Zervos, les Maeght ou l'artiste Maggy Kaiser.
Ils partagent le goût de l'agir sur le support.
On y retrouve la même verve synthétique du geste et de la méthode qui entre 1960 et 1975 permet à Hartung d'atteindre le miracle de ces passages presque imperceptibles où la pureté des couleurs reste intacte mais où elles se fondent (…) Par ces grandes masses brunâtres ou noires, j’essayais de saisir de l’intérieur, de m’identifier aux tensions atmosphériques et cosmiques, aux énergies, aux rayonnements qui gouvernent l’univers.
Comme Hartung, Suzanne Ramié signifie l'espace en le matérialisant picturalement par la coloration d'éléments intervallaires et par le nuancement lumineux des fonds de ses œuvres. On la retrouve encore dans cette idée hartungienne « Il est bien difficile de faire leur part à la critique objective et aux effets de l'inconscient dans un travail direct où l'inspiration « l'accident » (humainement inévitable) et les raisonnements se mêlent à chaque instant. »
Suzanne gratte, accole, inonde son support de couleurs que le feu vient ensuite saisir avec empressement et figer dans un mouvement définitif.
Avec l'échelle du temps propre à la céramique, Hartung partage aussi l'exigence du « temps critique » qui vient s'interposer entre les esquisses et l'œuvre finale : « il est une longue, très longue réflexion...car il faut laisser murir son projet, le pousser au maximum, se concentrer sur l'essentiel...et pourtant s'efforcer de conserver à l'exécution le caractère frais, direct, spontané, qui est évidemment celui de l'improvisation. Pour maintenir une telle exigence, un long effet est toujours nécessaire, seulement voilà : il ne faut pas le montrer. »
Ils partagent ainsi cette intuition du langage de l'abstraction.
Cette épiphanie sonne comme une confirmation du bien-fondé de l'expression graphique du geste, désintéressée de la représentation ou de l’interprétation des formes de la nature. Leur expérience les éclaire d'une lumière différente mais chacun sait intuitivement que ce langage non figuratif rend possible une expression primordiale.
Il n'y a pas non plus une distance si forte entre cet avènement fécond d'un affranchissement du symbole et du signe, et les exercices spirituels qui guident les lettrés chinois face à leur pierre de rêve.
Au-delà du geste, l'expression surgit de l'accident, de ce qui se donne à sentir devant la pierre à image.
La plaque de Ramié résonne aussi de cette référence aujourd'hui réactualisée autrement, par Jean Girel notamment.
Des paésines toscanes, ces pierres-aux-masures, « ruines faites de substances minérales fluides et diversement colorées, autrefois liquides et converties à la solidité du marbre par l'action d'un esprit coagulant et gorgonique » aux marbres-paysage anglais et extrême-orientaux et autres dendrites et grès de l'Utah, ces pierres forment le support d'une recherche de vérité intime et introspective.
Roger Caillois en fut le chantre habile :« Je parle de pierres qui ont toujours couché dehors ou qui dorment dans leur gîte et la nuit des filons. Elles n'intéressent ni l'archéologue ni l'artiste ni le diamantaire. Personne n'en fit des palais, des statues, des bijoux; ou des digues, des remparts, des tombeaux. [...] Je parle des pierres que rien n'altéra jamais que la violence des sévices tectoniques et la lente usure qui commença avec le temps, avec elles. Je parle des gemmes avant la taille, des pépites avant la fonte, du gel profond des cristaux avant l'intervention du lapidaire. [...] Je parle des pierres plus âgées que la vie et qui demeurent après elle sur les planètes refroidies, quand elle eut la fortune d'y éclore. Je parle des pierres qui n'ont même pas à attendre la mort et qui n'ont rien à faire que laisser glisser sur leur surface le sable , l'averse ou le ressac, la tempête, le temps. [...] »
On sent bien les rapports privilégiés qui existent entre le minéral géologique et le pseudo-minéral démiurgique du potier. Ils prennent un sens majeur ici lorsque Ramié convoque une abstraction que nos esprits complexes peuvent aussi deviner comme un sfumato délirant où les monts et collines du lointains sont noyés dans les irisations de vallées embrumées. Il y a un monde ici-bas, un ciel, une atmosphère qui devient le support à nos rêveries labiles. En ce sens les traditions chinoises et japonaises des « pierres de rêve » -qui suggèrent des rivières de vallées et ravins ; des étangs, des escarpements et des berges- donnent un autre angle de lecture au paysage de Ramié dont la contemplation nous susurre quelque chose de « cette convergence entre la recherche de la connaissance et le sentiment de la beauté du monde » comme le dit Augustin Berque.
Faut-il y voir une contradiction avec la dimension hartunguienne précitée ?
Pas nécessairement, car c'est une autre manière de comprendre que nous sommes vraiment en face d'un authentique défi à notre manière de penser et de dire.
Le mouvement du possible est si fort chez Ramié que le regardeur n'est nullement obligé, il peut même confortablement passer à côté, car au fond « un paysage n'existe ni partout, ni toujours ».
C'est aussi qu'un paysage est d'abord une modalité du rapport des humains et de leur société (si cela existe?) à leur environnement.
Il est d'abord affaire de résonance.
Dans un dynamisme qui s'identifie aux forces du monde, on peut sentir que Suzanne Ramié matérialise son geste dans les traces graphiques d'actes énergétiques réfléchis. Ce paysage c'est d'abord l'expression d'une énergie vitale en tant qu'expérience sensible, consciente, active et motrice pour éprouver l'espace comme lieu d'action de cette expérience.
Décédée peu après, en 1974, Suzanne Ramié a légué à nos sens une œuvre dense, riche, à même de nous interpeller quotidiennement.
En ces pièces résonne chaque instant, pour qui tend l'oreille, cette apostrophe que Caillois formulait à l'adresse des pierres mais qu'une sagesse simple nous incite à déplacer délicatement mais sans ménagement du côté des pots: « Lorsque je regarde attentivement (les pots), je m'applique parfois, non sans naïveté, à en deviner les secrets. Je me laisse glisser à concevoir comment se formèrent tant d'énigmatiques merveilles, nées de lois que très souvent elles paraissent violer, comme si elles étaient issues d'un tumulte et, pour tout dire, d'une fête que bannit (trop) désormais leur mode d'existence. »
Bibliographie sélective:
Mission céramique, Collection Jean-Jacques & Bénédicte Wattel, J.-J. & B. Wattel, Editions Louvre-Victoire, Paris, 2013.
Céramiques d'artistes, Sous la direction d'Olivier Le Bihan, Silvana editoriale, 2012.
La céramique française des années 50, Pierre Staudenmeyer, Editions Norma, Paris, 2001.
L'age d'or de Vallauris, Anne Lajoix, Les Éditions de l'Amateur, Paris, 1995.
Hans Hartung, R.-V. Gindertael, Pierre Tisné éditeur, 1960.