The Plant, la très renommée revue américaine consacrée à nos rapports au végétal, m'a convié à participer à son dernier numéro.
Je suis très heureux d'être au sommaire des Loose leaves de son sublime numéro de printemps avec une contribution inédite sur l'art de la vannerie de bambou.
Merci de tout cœur à la rédaction de l'attention dont cette tribune témoigne.
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The song of the world
“Beauty is truth, truth beauty, - that is all. Ye know on earth, and all ye need to know.” John Keats
We are not only at the end of all recklessness, but also of all neglect. It is possible that everything that happens to us is, on the contrary, a call for attention.
Such a quest is nourished by the power of everyday life. It finds in the gestures of everyday life – and in the objects linked to these gestures – the highest and noblest aspects of beauty. It is a sensitive attention to all the survivals persisting in the cracks, the gaps and the differences that weave and articulate each world.
An expression of virtuoso simplicity, the art of Japanese basketry celebrates the metamorphosis of plants under the conscientious gestures of the kagoshi, the master basket maker.
In its own way, it also reveals the essence of true craftsmanship: the dissent of a time which, against all productivism, knows that attention is in each gesture, in the tiny movements that outline other possible worlds.
Once upon a time at the edge of a river, the famous tea master Sen No Rikyû observed with glee the fish basket that a fisherman carried around his waist. He caught the beauty of this humble bamboo basket and had the idea of turning it into a flower vase.
To understand this founding intuition closely linked to the history of the Way of Tea, chadō, and to the Way of Flowers, kadō, we must return to the emergence of the aesthetic of Zen, where is hidden the wabi-sabi, a beauty beyond the beautiful and the ugly.
Wabi aims for a refinement nourished by simplicity – a sober elegance, a nobility without sophistication, a beauty reduced to its essence, which a single flower can perfectly express.
Sabi evokes the passage of time – the patina, the renunciation of the radiance of new beauty. To feel the sabi is to accept the wear and tear, the wrinkles, the ephemeral, the irregularities, to love the mark of time which halos things, makes them sensitive and tame. At the crossroads of these two notions, the Japanese forged the ideal of an intuitive, humble and discreet beauty that is felt more than seen, a beauty included in the movement of nature where marks and imperfections are qualities, lands of alliance and complicity with the whole of nature.
Looking at a basket is therefore not only facing a tradition, a use, a know-how; it is also questioning its symbolic power, grasping the meaning that there is to deny the hierarchies in the arts, in technical gestures, in thoughts and acts.
To stroke a basket, to see a craftsman weave the plant is to feel that art is always a skill of composition, assembly and combination to inhabit a design. An attention which gives to grasp the fruitful coexistence between the living and the material.
Art then ceases to be a matter of material production and becomes the magic of making the world exist differently.
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Le chant du monde
« La beauté est vérité, la vérité beauté, voilà tout ce que l'on sait sur terre et c'est tout ce qu'il faut savoir » John Keats
Nous ne sommes pas seulement au temps de la fin de toute insouciance, mais aussi de toute négligence. Il est possible, au reste, que tout ce qui nous arrive soit au contraire des appels à l'attention.
Une telle quête se nourrit de la puissance de la vie quotidienne, elle trouve dans les gestes de la vie quotidienne, et dans les objets liés à ces gestes, les aspects les plus élevés et les plus nobles de la beauté. Elle est une attention sensible à toutes les survivances persistant dans les failles, les écarts et différences qui tissent et articulent chaque monde.
Expression d'une simplicité virtuose, l'art de la vannerie nippone célèbre la métamorphose du végétal sous les gestes consciencieux du kagoshi, le maître vannier.
À sa manière, il raconte aussi l'essence de l'artisanat véritable: la dissidence d'un temps qui, contre tout productivisme, sait que l'attention est dans chaque geste, dans l'infime qui dessine les contours précurseurs d'autres mondes possibles.
La légende raconte qu’un jour au bord d’une rivière, le célèbre maître de thé Sen No Rikyû observa avec jubilation le panier à poisson qu’un pêcheur portait à la taille. Il saisit la beauté de cet humble panier de bambou et eut l’idée de le transformer en vase pour les fleurs.
Pour comprendre cette intuition fondatrice intimement liée à l’histoire de la Voie du thé, chadō, et à la Voie des fleurs, kadô, il faut revenir à l’émergence de l’esthétique du zen, où se love le double concept, philosophique et éthique, du wabi-sabi, une beauté au-delà du beau et du laid.
Wabi vise un raffinement nourri de simplicité, une élégance sobre, une noblesse sans sophistication, une beauté réduite à son essence, qu’une simple fleur peut parfaitement exprimer.
Sabi évoque l’écoulement du temps, la patine, le renoncement à l’éclat d’une beauté neuve. Sentir le sabi, c’est accepter les usures, les rides, l’éphémère, les irrégularités, aimer la marque du temps qui auréole les choses, les rend sensibles et apprivoisables.
A la croisée de ces deux notions, les Japonais ont forgé l’idéal d’une beauté intuitive, humble et discrète qui est ressentie plus que vue, une beauté incluse dans le mouvement de la nature où les marques et les imperfections sont des qualités, des terrains d’alliance et de complicité avec la nature entière.
Regarder un panier, ce n'est donc pas seulement faire face à une tradition, à un usage, à des savoir-faire, c'est aussi s'interroger sur sa puissance symbolique, saisir le sens qu'il y a à nier les hiérarchies dans les arts, dans les gestes techniques, dans les usages.
Caresser un panier, voir un artisan tresser le végétal, c’est sentir que l’art est toujours habileté de composition, d’assemblage, de combinaison pour habiter un dessein. Une attention qui donne à saisir la coexistence féconde entre les vivants et les choses.
L’art cesse alors d’être affaire de production matérielle pour devenir magie de faire exister différemment le monde.
© Courtesy The Plant / Augustin David
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"Becoming definitively aware of our united humanity, being one with the planet itself, gazing at our origins, our present, our close goal, our distant ideal, that is what progress consists of."
Élisée Reclus
© Courtesy The Plant