Notre nouvelle exposition La poésie de la terre ne meurt jamais, l'art paysan suédois à l'honneur sur Milk Décoration.
Merci de tout cœur à Laurine Abrieu de son attention ainsi qu'à la rédaction.
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Par Laurine Abrieu,
À découvrir en ligne sur le site de Milk Décoration.
Avec cette nouvelle exposition en ligne baptisée « La poésie de la terre ne meurt jamais », la galerie parisienne Stimmung dévoile de rares chefs-d’œuvre de l’art paysan suédois que son fondateur Augustin David rassemble depuis plusieurs années. Il nous raconte.
Laurine Abrieu pour Milk (Milk): Avec cette nouvelle exposition vous donnez à voir une sélection de pièces rares de l’art paysan suédois, de quelle façon les avez-vous chinées, dénichées ?
Augustin DAVID (AD): Comme toujours dans mes recherches, ce fut une longue et passionnante quête. J’ai fait connaissance avec l’art paysan suédois lors de plusieurs voyages en Suède. D’abord dans les fermes de la Suède rurale, puis au travers des fantastiques collections ethnographiques des musées suédois. Ensuite j’ai cherché ces pièces partout, sélectionnant celles qui me touchaient le plus et qui exprimaient au plus juste ce que j’admire en elles : non pas un art de l’exceptionnel, une virtuosité exposée, mais au contraire la justesse et la simplicité d’une beauté ordinaire devenue fort rare. Au terme de plusieurs années, la sélection est donc autant le fruit d’une quête que de choix drastiques.
Milk: De quelle histoire témoignent-elles ?
AD: Dans l’art paysan, les objets étaient étroitement liés à la vie quotidienne qui se tresse avec des besoins, des rites, des usages vitaux, des fêtes populaires, des célébrations de personnes. En nous intéressant à cet art de fabriquer des objets pour sa vie quotidienne, nous touchons du doigt les manières de communautés qui depuis la nuit des temps ont initié un rapport plus juste et plus harmonieux à l’usage du monde. Ces objets sont alors des entrées vers des histoires et des manières d’être au monde qui ont beaucoup à nous dire aujourd’hui
Milk: Piège à souris, planches à laver, seaux et serrures, ou encore battoirs à linge, avec de telles pièces rassemblées cette exposition soulève la question de la frêle frontière entre art et artisanat, entre objet utilitaire et œuvre à exposer, quel regard portez vous sur ces créations ?
AD: Vous avez raison de parler de « frêle frontière », je gage même qu’elle n’existe pas. Pour le dire simplement, je ne crois plus du tout aux hiérarchies qu’au fil des siècles diverses institutions culturelles et politiques ont participé à dessiner et qui légitiment un art déconnecté de la vie quotidienne. Parce qu’il n’a jamais prétendu être art, l’art paysan offre un exemple parmi les plus concrets de ce qu’est l’art originel. Art radicalement non institué, il est un terrain où il n’y a aucun sens à polariser beauté et utilité, quotidien et apparat, privé et public, création et usage. Il est ce que l’art n’aurait pas cessé d’être sans ces multiples dominations : un moyen d’expérimenter la vie, une manière de composer des mondes, quelque chose qui donne à saisir une coexistence entre l’humain, le vivant, les choses et un milieu. Si l’on prend ça au sérieux, s’ouvre un monde de beauté.
Milk: À votre sens, à quel moment une création est-elle érigée au rang d’oeuvre « à exposer », « à collectionner » ? À quel moment un objet usuel quitte-t-il sa fonction première utilitaire pour celle « d’oeuvre » ?
AD: Si on renonce aux hiérarchies, on peut saisir des œuvres sur de banals bouts de trottoir. Je crois surtout qu’il y a des rendez-vous entre des passés et notre présent. Ces rendez-vous sont des seuils où se révèle l’œuvre pour son usage mais aussi pour ce dont elle témoigne par-delà son utilité. Il y a « œuvre » lorsque l’art trouve sa place ajustée au cœur de la vie quotidienne, lorsqu’il renoue avec sa vocation émancipatrice, avec cette exigence de transformation du monde qui le sous-tend à l’échelle individuelle et collective.
Milk: Quelles sont les pièces les plus « fortes », les plus marquantes, de cette exposition ?
AD: Les choses sont belles de vérité. Mon émotion est profonde face aux œuvres en bois, paniers, coupes à pain et autres pétrins qui disent une qualité d’attention qui me touche profondément. Autrefois, le bois collecté et utilisé était réellement célébré. S’il devait s’abîmer, il était entretenu, réparé avec une attention qui témoigne d’un haut niveau de conscience du travail exécuté et des obligations que son existence dicte à ses utilisateurs. Chacun de ces objets aurait pu être jeté des dizaines de fois mais ils sont arrivés jusqu’à nous grâce à des soins foisonnants qui disent une attention rare et une communion.
Milk: Le titre de l’exposition « La poésie de la terre ne meurt jamais » est un vers extrait d’un poème de John Keats. Les titres de vos expositions sont toujours d’une grande poésie et sensibilité. De la même façon, leurs présentations sont souvent animées, enrichies, de citations, de proverbes… Cette exposition s’accompagne d’ailleurs même d’un texte passionnant qui soulève certaines questions et évoque de nombreuses références et pistes de réflexion. Comment racontez-vous cela, les mots, l’écriture, comme appétence personnelle, ou comme œuvres complémentaires à la présentation, au support, des pièces d’exception que vous présentez et proposez ?
AD: Je crois œuvrer aussi et c’est comme ça que je suis fier de mon travail. Je ne suis pas antiquaire dans l’âme, ce qui m’intéresse c’est de me passionner, d’enquêter et de transmettre. Cette manière très personnelle vise à questionner nos relations aux objets, d’apprendre à accorder l’attention nécessaire aux respirations des mondes. En somme, de tracer une voie pour dire ce qui importe.
Pour chacun de mes projets de recherche ou dans mes enseignements à l’université Paris 8, je prends à bras le corps des questions qui me semblent être de bons endroits, des foyers incandescents dont les flammèches peuvent autant éclairer le présent qu’incendier ce qui doit l’être.
Nous rendre poreux à ces complicités possibles aux choses, c’est nourrir la diplomatie secrète qui joue entre le soi, l’autre, et le monde, c’est jouir au quotidien d’habitudes, de gestes d’apparence anodins mais vecteurs de joie. C’est comprendre que c’est dans le quotidien que se joue l’essentiel, dans l’ordinaire et non dans sa suspension.