Notre nouvelle exposition Claude Foënet, le silence à l'œuvre est à l'honneur sur le site de Milk Décoration.
Merci de tout cœur à Laurine Abrieu de son attention ainsi qu'à la rédaction.
________________
À découvrir en ligne sur le site de Milk Décoration.
En cette fin d’année 2023, la galerie Stimmung met en lumière le travail de peinture de l’artiste-artisan Claude Foënet dans une exposition baptisée « Le silence à l'œuvre ». À travers une sélection de tableaux à la beauté impérissable, Augustin David, le fondateur de la galerie, nous offre à découvrir une partie de l’œuvre intime et préservée d’un créatif qui arpenta durant cinquante ans le territoire de la nature morte.
Laurine Abrieu pour Milk (Milk) : Quelle est l’histoire de Claude Foënet ?
Augustin DAVID (AD) : Claude Foënet (1935-2014) est un formidable artiste-artisan qui, toute sa vie, mena à la fois un travail précieux de peinture sur soie avec sa compagne Éliane et, en parallèle, un travail personnel de peinture qui fut le cœur réel de son engagement d’artiste. C’est une fierté et une joie profonde de le mettre en lumière aujourd’hui. L’œuvre de Claude Foënet est une de ces beautés silencieuses qui éclosent sans prévenir. Son apparition ménage du silence et de l’attention dans le tumulte du monde.
Milk : Quelle est votre histoire avec son oeuvre ?
AD: Claude Foënet est le beau-père d’une amie. Longtemps son beau travail d’artisanat fut ma seule entrée dans sa trajectoire. Invité à découvrir sa peinture par sa famille, mon amie me dit « il y a des choses, tu verras, qui résonnent avec ton approche ». J’acceptais par amitié, par curiosité, et allais passer enfin un moment auprès d’elle, entouré de sa mère Éliane et des bons esprits qui peuplaient joyeusement cette merveilleuse maison que le couple avait imaginée pour abriter leur vie non loin d’Aigues-Vives. C’est une puissance discrète qui me pénétra dès l’instant de mon arrivée. Nous étions là entre ami.es, vivants, morts, petit peuple de l’atelier témoignant de maintes vies d’artisans aussi discrètes que dignes d’attention. Je me retrouvais face à un regard exceptionnel, à une peinture belle, impérissable. En m’y plongeant, j’ai découvert une œuvre préservée, intime. Un patient travail de peinture, empli d’un rapport au silence aussi rare que précieux. Et surprise du chef, en arpentant durant cinquante ans le territoire de la nature morte, Claude s’appuya naturellement sur les pots de ses amis potiers… pour l’amateur que je suis, sa peinture offre aussi un regard tendre et spontané sur l’aventure céramique des années 1950 à 80.
Milk : Est-ce que sa carrière a été marquée par des rencontres déterminantes, influencées par des moments particuliers ?
AD: Adolescent, Claude Foënet prend la décision ferme d’être artiste. Passionné par l’œuvre de Paul Klee, il est aussi touché dès la fin des années 1950 par sa découverte du geste singulier de Giorgio Morandi, comme par la peinture de l’allemand Julius Bissier. Claude Foënet et sa femme Éliane avaient été de la fête à la grande époque du Salon des Métiers d’art entre la fin des années 1950 et les années 1980. Ils avaient côtoyé et partagé la vie de personnes qui peuplaient mon esprit et mes recherches sous forme de noms plus ou moins oubliés. Si je connaissais des œuvres, eux avaient connu des visages, des rires, des discussions, des vies qui passaient au-devant de ces objets. Ils avaient travaillé autrefois étroitement avec Jacques et Dani Ruelland, et furent liés d’amitiés avec maints artistes importants de cette époque faste : Jacques Pouchain, Pierre Bayle, François Guéneau, Henri Virebent, Jacques Blin, les frères Alain et Jean Girel, Loul Combres, les Dailler à Blanot, avec les verriers Claude Morin, Claude Monod, Marisa et Alain Bégou…
Milk : Savez-vous de quoi nourrissait-il son inspiration ? Sa technique ? Sa peinture ?
AD: Outre les influences déjà citées, la manière de Claude, l’absence de clair-obscur, une frontalité, la texture légèrement granuleuse de sa matière, ses coloris si particuliers, évoquent les fresques anciennes des maîtres du Quattrocento, Giotto, della Francesca, ou encore Masaccio. Sa lumière se révèle discrètement, lentement, probablement peu disposée à satisfaire la hâte des regards trop contemporains. « Certains peuvent voyager à travers le monde et ne rien en voir. Pour parvenir à sa compréhension, il est nécessaire de ne pas trop en voir, mais de bien regarder ce que l’on voit. » rappelait Giorgio Morandi. Claude Foënet montre lui aussi dans sa peinture une sobriété libérée de l’emprise du temps : une poétique de coloris pâles, d’harmonies subtiles en camaïeu de gris rosés ou bleutés, de verts sans nom, d’orangés insoupçonnés, de violines qui rappellent les subtiles teintes traditionnelles de la teinture végétale. En divers formats qu’il affectionne, il pose dans un tracé simple des silhouettes d’objets qui peuvent d’abord sembler irréelles mais qui à l’examen attentif, sont souvent de véritables pots qu’il a observés. Si les pots ne sont pas là seulement pour eux-mêmes, ils se font sujets de sa peinture, ils en sont un centre dérobé. Les pots sont des pots, mais aussi des formes, des couleurs, des volumes, des lumières qu’il utilise pour dire le silence, l’essence de la vie et les mettre en partage.
Milk : Qu’est ce que son travail évoque en vous ?
AD: Dans mon approche pour la galerie Stimmung, j’enquête habituellement sur l’artisanat et sa constellation de vies, d’histoires, de rencontres avec des matières, avec des gestes et des trajectoires capables de dire, d’exposer des usages du monde alternatifs et de nourrir nos horizons. Plus coutumier à mettre en valeur des potiers, des beautés d’art populaire intemporel, des vanneries anonymes, la peinture de Claude Foënet m’offre une féconde entrée dans la relation que le peintre entretenait aux objets peuplant ses « vies silencieuses ».
Milk : Comment avez-vous composé cette collection d’œuvres ?
AD: En entrant dans son atelier, mon mouvement a été guidé vers ses natures mortes. Claude a peint sous divers angles, les céramiques et verrerie évoquée précédemment, mais aussi des figures. Il a pratiqué l’estampe, la sculpture. Si toute son œuvre marque par sa cohérence et la qualité de ce qu’il entend déposer sur cette Terre, il m’a fallu opérer une sélection que j’espère être le premier jalon d’une étude plus large ensuite. Ce choix s’est naturellement fixé autour de son usage de la nature morte car ses compositions, les « vies silencieuses » de Claude Foënet sont pour moi au rendez-vous de ma propre intimité, pleine de pots, céramiques et autres objets dont je m’échine, dans mes recherches, à saisir la substance, la voix et l’autonomie et qui sont dans ma vie une source de joie quotidienne.
Je reconnais sur les toiles de Claude des œuvres précises : ici une bouteille de Georges Jouve, ici un calice de Denise Gatard, des vases de Dani et Jacques Ruelland, plus loin un grand vase d’Élisabeth Joulia, des pots des Pierlot à Ratilly, des formes qui évoquent Claude Morin, Xavier Féal, Pol Chambost, André Aleth-Masson, des coupes qui rappellent les volumes de Vera Székely et André Borderie.
Milk : Pourquoi ce titre d’exposition, « Le silence à l’œuvre » ?
Claude Foënet était un être en quête de silence. C’est toute sa démarche qui baigne dans un retrait volontaire et il nous faut accepter de n’entrer que lentement dans sa peinture malgré la solidité de sa manière. Ce titre espère saisir l’essence de son travail : un travail dans lequel l’écoute, un certain retrait, un recueillement mis en acte à la source de son œuvre, offrent en retour une paix, une tendresse et de l’humilité à l’heure de son partage avec le monde. Claude Foënet connaissait la valeur du silence. Comme le disait l’autrice Clarice Lispector « Entre deux notes de musiques il y a une note, entre deux faits il y a un fait, entre deux grains de sable, fussent-ils unis, il y a un espace, et il y a une façon de sentir au milieu des façons de sentir- c’est dans les interstices de la matière primordiale que passe la ligne de mystère et de feu qui est le souffle du monde, et le souffle continu du monde est ce que nous percevons comme silence, et appelons silence. » Je crois que Claude Foënet avait ce besoin de saisir un tel souffle, d’habiter ce silence afin d’espérer le partager comme on partage un repas, une passion et des joies avec celles et ceux que l’on aime.