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Poisson à réaction, un chef‑d'œuvre de Jean Derval..Poisson à réaction, a masterpiece by Jean Derval

Focus

La galerie stimmung est heureuse de vous présenter Poisson à réaction de Jean Derval, une œuvre unique et magistrale. L'occasion pour nous d'une dérive dans l'histoire singulière d'un artiste essentiel de l'histoire des arts décoratifs modernes.

 


Jean Derval (1925-2010) fut une figure majeure de la céramique de l'après-guerre. Durant la seconde guerre mondiale, il suit une formation dans la section publicité de l’École nationale des arts appliqués à l’industrie. Il y rencontre Robert Picault et Roger Capron, comme lui futurs piliers du renouveau de la poterie à Vallauris. Cherchant à fuir le STO, il s'engage auprès du Musée de l'Homme alors en campagne de recensement des chefs-d’œuvre d'art populaire que conservent les greniers et granges des campagnes françaises.

Formé au métier de graphiste, c’est comme affichiste qu’il entame, à la libération, sa vie professionnelle. En 1945, alors qu'il officie comme graphiste, il fait la connaissance de son voisin d'atelier Tony Bouilhet alors directeur de la prestigieuse maison d’orfèvrerie Christofle. Celui-ci recherche de jeunes talents pour renouveler ses collections et développer un département céramique. Derval se fie à son intuition, il accepte la proposition de se rendre dans le village potier de Saint-Amand-en-Puisaye. C’est là, durant l’année 1945, qu’il découvre le travail de la terre au sein de l’atelier loué à Pierre Pigaglio par Jean Maubrou.

Ce lieu phare du grès, auréolé par Jean Carriès et son école à l’aube du XXe siècle, est pour Jean Derval une révélation, une conversion. Il découvre dans l’atelier Maubrou-Pigaglio un univers qui semble l’appeler par la richesse de ses techniques et par ses vastes possibilités artistiques. Plus encore, la céramique laisse le créateur complètement libre de ses choix, dans une immédiateté quasi magique de réalisation. Comme il le confiait, Derval découvre la magie de pouvoir «dessiner un bol et boire dedans le lendemain».

Derval en est sûr, la terre sera son langage.
Dans cet atelier, il apprend le tournage et les autres techniques impondérables de la matière céramique auprès du tourneur Camille Gendras. Il rencontre aussi à cette époque un érudit local, le Docteur Paul Mallet, qui lui fait découvrir au travers de ses collections de grès traditionnels et artistiques de Puisaye et d’Extrême-Orient, l’immense champ des possibles du monde céramique. Derval est émerveillé -transcendé- il reste un temps en Puisaye avant de se diriger vers le village voisin de La Borne dans le Cher où il se plonge dans les traces de Paul Beyer, qui s'y était installé dès 1942 et dont la récente disparition marque un nouveau point de départ dans l'histoire du centre potier.



En 1947, Jean Derval rejoint à Vallauris les deux autres membres du club «Les trois coqs», Robert Picault et Roger Capron, qui ont fondé l’atelier Callis. Il rejoint deux ans plus tard le célèbre atelier Madoura, animé par Suzanne Ramié et alors dominé par la figure magistrale de Picasso dont la présence enthousiasme et impressionne le jeune potier. 

En 1951, après avoir mûri ses choix, Jean Derval fonde l’atelier du Portail. Il y développe un art subtil, d’une grande virtuosité technique et artistique, voué à la pièce unique. Il laisse à son beau-frère Gustave Reynaud, le soin de produire une gamme utilitaire à l'Atelier du Mûrier fort des leçons et techniques qu'il lui prodigue volontiers. Son savoir-faire atypique fascine Roger Capron, qui fait appel à lui régulièrement de 1967 à 1973, notamment pour le chantier important de l’hôtel Byblos à Saint-Tropez. Par la suite Jean Derval sera amené à collaborer à des réalisations architecturales aussi importantes que l’aéroport de Saint-Denis de La Réunion ou la technopole de Sophia-Antipolis.

Jean Derval devient rapidement un des acteurs les plus essentiels de Vallauris, aimé, admiré pour son art nourri d'une probité sans faille et d'une bienveillance fondatrice. Il auréole l'artisanat local de sa démarche et de son style si singuliers. Chacun reconnaît en cet homme vibrant un artiste épiphane. Il est lié à la terre, les pieds bien ancrés dans ce terreau spirituel et métaphysique. Derval convoque les mythes et croyances populaires de ce septentrion lumineux et légendaire et oriente nos regard vers des formes et un vocabulaire qui bouleversent nos sens dans la joie. Il transcende sa technique pointue au service de la vitalité, incarnant comme le disait Henry Moore le sacerdoce d'un art de la main. Il aime l'irrégularité de la matière, la vibration des surfaces. «L'art qui cherche la perfection ne m'émeut pas. Tout ce qui regorge d'énergie est troublant sans être parfait. C'est le signe de la vie».
Fidèle à cet esprit, Derval aime la difficulté. Il utilise avec majesté le si fameux rouge de cuivre, apanage plus traditionnel des cuissons de haute températures, de grès et de porcelaine. Derval en fait une signature dans des cuissons de faïence où une telle réussite relève de l'exploit. Son inspiration fortement marquée par le mouvement de l’Imagerie s'abreuve dans une tradition qui lui permet, ancré dans son présent, de mobiliser des guerriers, des fauconniers issus du Moyen-Âge, des minotaures et des sphinx, hérités des mythologies méditerranéennes, sans oublier une production d’art sacré liée à une foi féconde et inébranlable. Dans un rapport quasi mystique à la cuisson dévorante des flammes, il développe une manière qui lui vaudra les honneurs de tous les professionnels et amateurs de son temps.

Familier parmi les potiers de grès qui accompagnent le renouveau du grès des années 1960, Derval sera l'un des très rares représentant de Vallauris à ne pas subir le dédain d'une époque où le grès règne en maître et où comme il s'en rappelle non sans humour «avec la vogue du grès de la Borne, dès que l'on montrait le nez au nord de la Loire, on se faisait taper dessus. Personne ne voulait plus de nos décors florissants». Il comprend que quelque chose s'augure, il ne s'en offusque pas car il vient de savoir-faire là, il n'est pas impressionné par cette évolution dont il mesure la vigueur et le sens à défaut de s'en faire le chantre.

Ainsi, lorsqu'en 1962 les époux Pierlot veulent réunir dans leur château de Ratilly en Bourgogne l'excellence potière française pour leur exposition Grès d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs, Derval est convié, comme l'immense Georges Jouve, seuls représentants d'une tradition faïencière. Idem l’année suivante quand le Musée des Arts décoratifs reprend à son compte ce programme sous le titre Maîtres potiers contemporains.

Il faut dire que Derval est de toutes les révolutions car dès la fin des années 1950 il sent la roue tourner pour le Vallauris qu'il aime tant. Sans amertume mais conscient que le monde et les modes changent, il est, en 1961, l'un des instigateurs de ce jalon essentiel qu'est l'Enterrement de la pièce unique, événement spectaculaire -baroud d'honneur- où quelques fers de lance ayant écrit l'histoire du Vallauris d'après-guerre (Derval, Anasse, Baudart, Chassin, Collet, Malarmey, Portanier, Raty et Pérot du Vieux Moulin) décident d’acter eux-même le virage qui devaient abîmer leur rayonnement heureux et fécond. La récupération des industriels, la standardisation des styles et des codes est telle qu'ils ont la sensation d'être submergés par les ersatz offerts à un public de vacanciers qui ne semble que trop peu flairer la mauvaise pitance qui lui est servi dès lors qu'elle offre quelques atours Picassiens. Les temps sont durs pour la plupart s'ils ne savent se réinventer et comme l'affirme Derval «Chacun se retire sous sa tente».

Derval relève pourtant le défi, il oriente son travail vers une dimension architecturale où il récolte les honneurs et vers un mouvement sculptural où il forge des «Machines en terre», que le modernisme international, malgré sa froide rationalité et sa peur du métaphysique, peut accueillir. C'est que Derval touche à un universel, il transcende les chapelles et les idéologies.

L'œuvre que nous présentons aujourd'hui forme une quintessence du travail Dervalien. Pièce unique réalisée vers 1962, Poisson à réaction fait dialoguer l'imagerie et la modernité. La pièce sonne toute entière comme une question  : le symbole christique du poisson mute en une machine, il se pare d'une hélice salutaire quand sa queue semble définitivement rigidifiée par une structure architecturée de haubans engonçants. Derval le spirituel signale l'époque, il synthétise avec hardiesse les questionnements d'un temps où la machine et l'automatisation semble devoir changer la face du monde mais dont certains épiphanes mesurent bien le faux-semblant. Derval nous interroge, et sous la manière caustique et la maestria technique se dresse une posture. Claude Bleynie dans sa préface à la sublime monographie que Patrick Favardin et Jean-Jacques Wattel ont consacrée à Derval se rappelle justement d'un homme dont «le souffle créateur (…) s'étend dans le domaine émotionnel, et cet état de nature illumine et éclaire tous les actes de son existence. (…) Jean Derval est compact dans sa foi, mais néanmoins troublé par un doute que secrétaient en lui de surprenants dialogues entre ses certitudes et la tentation de tous les possibles; peut-être est ce la raison de cette émouvante humilité incluse dans sa vie et dans son œuvre».


Plus de soixante ans après, la question demeure intacte, la modernité est elle un état ? Est-elle une posture qui implique un univoque recul du rapport au spirituel ?
La modernité, pour être une force révolutionnaire -sa seule destinée logique- doit elle (encore) rêver à la table rase ou habiter l'espace fécond et sans limite qui unit les pieds collés à la terre à l'esprit haut perché ?

Toute révolution commence en soi et Jean Derval mènera une vie durant, une œuvre expressive, diversifiée et savante.
Si son inspiration trouve son unité dans la forme et une parfaite connaissance technique, c'est par dessus tout dans l'attention constante et bienveillante qu'il a porté à l’humain et à ses multiples interrogations que Derval forme un exemple bien vivant du sens de la création.


Sources: Nos profonds remerciements à Patrick Favardin et Jean-Jacques Wattel pour nos échanges et leur éclairage essentiel dans leur ouvrage couronnant plusieurs années de travail de recherche sur l'artiste Jean Derval, P. Favardin & J-J. Wattel, Editions Norma, Paris, 2011.

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