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Wabi Sabi, éloge de la simplicité..Wabi Sabi, ode to simplicity

Expositions..Exhibitions

A celui qui se languit
Des fleurs du printemps
Montre les jeunes pousses
Qui sortent dans les collines enneigées
(Sen No Rikyû)

Il faut parfois emprunter des sentiers tortueux pour accéder à la simplicité.

La Galerie Stimmung poursuit son travail de recherche et de mise en perspective en présentant une sélection d'œuvres japonaises en grès faisant écho à une puissance et à une simplicité qui ont aussi forgé -chez nous- notamment à La Borne ou à Saint-Amand-en-Puisaye, la matière d'une excellence artistique, une certaine idée de la terre métamorphosée, brute, sévère au toucher et tendre au coeur.

La longue et légendaire histoire du Japon est emplie de traditions et l'artisanat qui en est issu est très varié : céramique, travail du bois et du métal, laque, papier, tissus teintés. Comme tout artisanat, il fut d'abord d'usage quotidien, et s'est empreint au cours des siècles d'une valeur particulière, esthétique et philosophique.

La poterie est l'art bien-aimé des Japonais. Ils y recherchent les sources de la spiritualité, elle leur inspire la plénitude de la vie.
Au Japon -loin des encombrantes et académiques querelles- la céramique a toujours été considérée comme un art, un art de l'usage et du symbole.
Au cœur des arts du Japon, se love un double concept philosophique, éthique et esthétique intimement lié à l'histoire de la cérémonie du thé et parfois vu comme l'essence de la notion japonaise de la beauté : une beauté au-delà du beau et du laid, le Wabi-Sabi.


C'est aux temps médiévaux des Seigneurs de guerre que s'épanouit le Chanoyu, la Voie du thé, un exercice spirituel questionnant le sentiment du quotidien au travers de ce frisson douloureux de la chose qui va disparaître (Mono no aware). Au moment de son apogée à la charnière des seizième et dix-septième siècles les deux notions Wabi et Sabi s’imposent comme pivots essentiels.

Wabi vise un raffinement nourri de simplicité, une élégance sobre, une noblesse sans sophistication, l'intuition d'une beauté réduite à sa simplicité essentielle, qu'une simple fleur dans un joli pot peut parfaitement exprimer (Alain Delaye). Wabi recouvre ainsi différents aspects que l'Occident a su saisir par la médiation des tenants de l'Arts & Crafts : l'éloge de l'ombre, la vertu du vide, l'honnête simplicité des matériaux, autant de critères qui mettent en avant la richesse de l'esprit et de l'être en l'opposant au séducteur, à l'artifice et au brillant dont le trop fort éclat peut aveugler nos sens.

Sabi évoque l'écoulement du temps, la patine, le renoncement à l'éclat d'une beauté neuve et le sain délaissement face au temps s'écoulant inexorablement. Sentir le sabi, c'est accepter les usures, les rides, l'éphémère, les irrégularités. Au-delà de les accepter, il s'agit d'aimer ces marques du temps qui auréolent les choses, les rendent intelligibles et apprivoisables. C'est renoncer à la nouveauté comme qualité première.

A la croisée de ces deux notions millénaires, les Japonais ont forgé l'idéal d'une beauté intuitive, humble et discrète, qui est ressentie plus que vue, une beauté incluse dans le mouvement de la nature entière où les marques et les imperfections sont assumées comme des qualités.

La perfection de la création se trouve alors dans son contenu et non dans ses contours, elle hante l'invisible et cette beauté est librement accessible à tous ceux qui acceptent de voir avant de savoir; de rencontrer avant de reconnaître.

Si les arts traditionnels et populaires japonais sont évidemment empreints de cette posture fondatrice, quelques uns des meilleurs artistes d'aujourd'hui en sont aussi des représentants exemplaires, du couturier Yohji Yamamoto à l'architecte Tadao Ando, en passant par le photographe Nobuyoshi Araki, dont certaines créations incarnent cette disposition de l'âme.


Les œuvres des potiers japonais, telles celles des Kakiemon jouirent en Europe depuis le dix-septième siècle d'une grande réputation et les noms de Kutani ou Arita sont aussi connus que ceux de Sèvres ou de Limoges. Les porcelaines japonaises dont l'exportation se faisait alors à partir du port d'Imari subissaient la féconde et chatoyante influence de la vive polychromie chinoise. Mais la tradition céramique japonaise autonome allait s'épanouir ailleurs dans une poterie très simple.

C'est avec l'introduction au Japon de la mystique Zen au XIIe siècle que l'art de la prestigieuse Chine des Song avait pénétré une société que la simplicité et la rigueur dépouillées des lavis monochromes et des céramiques ne pouvaient que séduire.

Sous l’influence du Maître de thé Sen No Rikyû (1521-1591) s'établit l'occasion de susciter une céramique originale plongeant ses racines dans les œuvres quotidiennes les plus anciennes issues des centres potiers que l'on appelle encore de nos jours les six vieux fours du Japon : Bizen, Echizen, Seto, Tamba, Shigaraki et Tokoname.

Avec Sen No Rikyû les pièces destinées à la cérémonie du thé, auparavant d'antiques pièces chinoises, laissèrent place aux poteries japonaises. Ce furent leurs qualités de spontanéité et de franchise (wabi), de simplicité et de beauté (shibui) et leur humilité (sabi) qui motivèrent cette révolution du regard.

«Fais un délicieux bol de thé ; dispose le charbon de bois de façon à chauffer l'eau ; arrange les fleurs comme elles sont dans les champs ; en été, évoque la fraicheur, en hiver, la chaleur ; devance en chaque chose le temps. Prépare toi à la pluie.»
Sen No Rikyû

S'appuyant sur ces principes philosophiques issus de la doctrine Zen, Rikyû contribua à la mise en valeur d'un art assumant la simplicité. À ses yeux comme plus tard à ceux des rénovateurs du mouvement Mingei réunis autour de Soêtsu Yanagi, la vrai beauté réside dans l'usage, dans l'ordinaire que l'œil ouvert et hanté sent intuitivement.

C'est une beauté qui nous appelle.

L'esthétique des Chajin (les adeptes du thé) et leur volonté de communier avec la nature exigeaient des formes simples, d'aspect humble. Elles contraignaient le potier à un exercice de variation où la richesse d'invention céramique, (la variété des jeux du four et des vernis) furent telles qu'elles provoquèrent, lorsque ces poteries furent tardivement révélées à l'Occident, une révolution parmi nos artistes.

Cette véritable «découverte» de l'art japonais en Occident date des années 1860-1880 quand, en même temps que les estampes, les tsubas (gardes de sabre), les netsukes et les inros (parures des ceintures de kimono), amateurs et artistes apprirent à goûter la simplicité des poteries liées à l'art du thé.
Habitués aux décors surchargés des porcelaines extrême-orientales destinées à l'exportation, ils virent dans ces bols en grès revêtus de vernis sombres aux épaisses coulures, une manifestation originale et savoureuse des arts du feu. S'en inspirant, des artistes comme Paul Gauguin, Ernest Chaplet, Auguste Delaherche, Jean Carriès ou ceux que l'on appelle aujourd'hui l'Ecole de Carriès, trouvèrent dans les terroirs français (Puisaye, Berry, Beauvaisis...) les équivalents de ce que les cités de Bizen ou Shigaraki incarnait pour le peuple nippon. Un siècle et demi après, certains des meilleurs céramistes, de Robert Deblander à Hervé Rousseau, sont les dignes héritiers de cette posture fondatrice pour le mouvement du renouveau du grès français.


La poterie de Bizen, sur laquelle notre sélection est centrée, s’inscrit dans la branche la plus ancienne de la céramique nippone. Né aux alentours du XIe siècle, le centre propose des pièces aux formes d'usage d'une sobriété devenue légendaire. Nourrie d'une exigence extrême, la sélection est drastique. Lorsque les grands fours accueillent la cuisson de milliers de pièces, seules cinq à dix pour cent des pots sont sélectionnés au final pour être présentées aux amateurs.
Parce que sa caractéristique première réside dans le fait qu'elle est sans glaçure, la poterie de Bizen est considérée comme un des épanouissements les plus justes des idéaux wabi-sabi dans les arts nippons. Le grès de Bizen séduit par ses formes simples et naturelles qui laissent transparaître une beauté subtile et suscite une nostalgie profonde nourrie d'éternité. A Bizen, la terre devient roche sous l'action conjuguée de l'eau, de la main et du feu. Les œuvres sont à la fois classiques, présentes et futures, elles sont la mesure du talent d'une tradition sans cesse renouvelée, du fond des temps médiévaux à la génération des rénovateurs du milieu du vingtième siècle. (Certains furent célébrés en Occident, comme les Fujiwara qui en 1976 firent l'objet d'une exposition internationale itinérante restée fameuse par son influence en France après sa présentation au Musée Cernuschi : Poteries de Bizen anciennes et modernes, collection et œuvres de Fujiwara Kei et Fujiwara Yu)


Tout comme dans les sublimes pots de notre ancienne poterie de grès parmi lesquels quelques chef-d'œuvres émergent farouchement, dans la poterie de grès nippone, tous les artifices sont abattus.
A l’instar d'autres avant-gardes, cette absence de séduction démonstrative nous mobilise par une beauté que l'on croit naturelle. La terre brute changée en roche par le feu nous lie à la matière, nourrit un face à face inévitable avec la texture du grain, la profondeur du modelé, la réalité superficielle et profonde de l’argile, cette terre gisant sous nos pieds, puisée, modelée et incendiée. La terre et le feu s'accouplent rageusement et l'homme observateur y décèle les enjeux qui alimentent notre éternité, lorsque, par le feu ou la terre nous serons voués à l'état de poussière.

A Bizen comme ailleurs à Tamba, Echizen ou Shigaraki, la marque du feu est assumée, recherchée, et le potier met son œuvre en jeu dans un dialogue avec les flammes. Les effets du feu sont variés et permettent de nommer les pièces de façon imagée. Le plus courant est celui des cordes de feux (hidasuki), trainées de filaments rouges dues aux pailles de riz humides protégeant les pièces les unes des autres lors de la cuisson. D'autres accidents de cuisson maitrisés entrainent la formation de coulures (nagaregoma), de tâches rondes évoquant des gâteaux de riz (botamochi), qui résultent de la proximité dans la flamme d'un pot protégeant la surface de son voisin des morsures du feu, ou en projections multiples évoquant aux lettrés des grains de sésame (goma). La surface rugueuse (taratara) ou grumeleuse (haikaburi) peut prendre l'aspect d'une peau de melon (meronhada) ou d'écorce de théier (kasgoma).



Nous sommes heureux de vous présenter cet ensemble de pièces qui maintient en vie une tradition millénaire.

A Bizen, on a compris que la modernité se nourrit en interrogeant la tradition, qu'être moderne c'est donner une forme renouvelée à des questions et des savoirs anciens. C'est réactiver ce qui s'impose de l'être pour le maintenir vivant, non pas comme le seul souvenir d'une vie riche mais comme le feu d'une torche dont jamais la flamme ne s’éteint et dont le porteur change, toujours lancé dans un mouvement qui met de côté l'égo pour le dépasser.

Point ici de céramique architecturale et monumentale, voici de simples vases -appelés hanaire (hana ire)- des pots liés à l'art floral mis en œuvre dans la cérémonie du thé (Chabana, un type simple et sobre d'ikebana) mais qui dans leur dense simplicité incarnent vivement un idéal de vie, une maturité et une quiétude pour rappeler à celui qui en use que la vraie beauté est simple, immédiate, sauvage et féconde.

Bienvenue dans un monde où la beauté s'expose nue.

Bienvenue dans un monde où la beauté se rencontre chaque jour comme un appel à toujours se révolutionner.

Augustin DAVID, Hiver deux mille quinze / deux mille seize




Pour en savoir plus, voici quelques sources essentielles  :

Japon, Céramique contemporaine, Paris, 1950, sous la direction de Madeleine David; catalogue de l'exposition qui s'est tenue en 1950 au Musée Cernuschi.

Poteries de Bizen anciennes et modernes, collection et œuvres de Fujiwara Kei et Fujiwara Yu, Paris, 1976, sous la direction de Vadime Elisseeff; catalogue de l'exposition qui s'est tenue au printemps 1976 au Musée Cernuschi.

Japon, Saveurs et Sérénité, La Cérémonie du Thé dans les collections du Musée des Arts Idemitsu, Paris, 1995; catalogue de l'exposition qui s'est tenue en 1995 au Musée Cernuschi.

Cordes de feu, mille ans de céramique japonaise à Bizen, Sèvres, 1997, sous la direction de Christine Shimizu; catalogue de l'exposition qui s'est tenue à l'automne 1997 au Musée National de la Céramique.

Toji: avant-garde et tradition de la céramique japonaise, Paris, 2007, sous la direction de Christine Shimizu; catalogue de l'exposition qui s'est tenue à l'hiver 2007 au Musée National de la Céramique.

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